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Le cheikh de La Calle étant mort, une députation des notables offrit au général Duzer le choix entre les candidats qui se disputaient sa succession, et celui qu’il désigna fut accepté d’un commun accord. A chaque instant, on voyait arriver des fugitifs de Constantine ou des fractions de tribus qui venaient se mettre sous la protection du drapeau français. Un odieux guet-apens du bey Ahmed ne fit que précipiter ce courant d’émigration. Les Segna, une grande tribu dont les douars, établis à quatre journées de Bône et à deux de Constantine, vers la Tunisie, ne comptaient guère moins de deux mille tentes, lui refusaient le paiement des contributions. Ahmed convoqua leurs grands ; il leur envoya des sauf-conduits ; les messagers jurèrent en son nom qu’il ne leur serait fait aucun mal ; tout ce qu’il souhaitait d’eux, c’était le concours de leurs nombreux cavaliers contre les Français. Ils vinrent suivis de leurs goums. Dès la nuit suivante, ils furent surpris et, pour la plupart, égorgés : deux cents têtes furent envoyées à Constantine avec les troupeaux et les richesses de la tribu. Après cette exécution, Ahmed vint s’établir, au mois d’août 1834, près de Guelma, sur la haute Seybouse ; il avait avec lui 4,000 hommes, dont 2,500 réguliers, infanterie et cavalerie. A son approche, le vide s’était fait autour de lui ; les grands des Oulad-Bouazis étaient venus planter leurs tentes sous le canon de Bône ; toutes les tribus avaient refusé de répondre à l’appel du bey. Au mois de septembre, il s’éloigna, maudissant les chrétiens et les faux musulmans qui aimaient mieux vivre en paix auprès d’eux que de venir à lui sous le coup de ses exactions et de ses fureurs.


VI

Ce que le bey Ahmed essayait vainement d’obtenir par la terreur, Abd-el-Kader, à l’autre extrémité de la régence, l’obtenait par la persuasion, par la souplesse et l’activité de son génie. Ce n’est pas qu’après l’acclamation des premiers jours, il n’eût rencontré, parmi les siens, des jalousies, des rivalités, des obstacles ; il ne s’en était pas étonné ; il s’attendait à en rencontrer de plus grands encore et il se préparait à les vaincre. Le titre de sultan, qui lui avait été décerné, aurait pu déplaire à Fez : il prit celui d’émir, qui veut dire prince ; quand il avait besoin de ses voisins du Maroc, il s’intitulait khalifa du sultan de Gharb ; quand il voulait entraîner les Arabes contre les Français, il était celui qui fait triompher la religion, Nacer ed dine.

De Mascara il surveillait Oran, où le commandement venait de passer, à dater du 23 avril 1833, entre les mains du maréchal de camp Desmichels. Le général Boyer léguait à son successeur une