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rendez-vous, à Tchaf-el-Aka (le repaire du vautour). Sir John Drummond Hay, ministre d’Angleterre, dirige la chasse, place les cavaliers à l’affût la lance au poing, derrière des bouquets de chênes-liège, dispose les meutes de sloughis sur la lisière du bois, et fait rabattre les sangliers vers les chasseurs par des escouades d’Arabes.

Le grand chérif de Ouezzan, qui est après le sultan le personnage le plus respecté du Maroc et dont l’autorité religieuse s’étend jusque sur l’Algérie, est à côté de moi, vêtu de bleu et monté sur un cheval gris pommelé, dont le harnachement est d’un bleu plus clair, avec des tons gris d’argent. Un si grand personnage ne se déplace pas seul : aussi toute une escorte de cavaliers l’entoure, et les draperies de leurs vêtemens, les broderies de leurs harnachemens, la fine élégance de leurs chevaux, qui dressent la tête et gonflent leur encolure, sont du plus merveilleux effet.

Accroupis derrière des touffes de palmiers nains, des Arabes tiennent en laisse de grands sloughis aux pattes teintes de henné. Par momens, un des chiens aboie d’impatience et l’Arabe qui le retient étouffe ses aboiemens sous les plis de sa djillab.

Mais voici que trois sangliers débusquent de compagnie : les chasseurs partent au galop, la lance en arrêt ; les sloughis sont découplés, et la poursuite commence à travers la plaine, à travers les bois. Parfois le sanglier, s’arrêtant brusquement, fait tête, et les. chevaux effrayés se jettent de côté ou se renversent. Parfois aussi, dans l’ardeur de la chasse, la lance se prend dans les branches des chênes et le choc désarçonne le cavalier. Mais la bête traquée et harcelée de tous côtés est bientôt lassée ; elle ralentit sa course, et le chasseur le plus adroit ou le mieux monté lui plonge sa lance dans le corps : le tranchant en est si finement affilé et l’élan du cheval est si puissant que, sans effort, la pointe traverse la bête de part en part, et vient souvent se ficher dans le sol en brisant la hampe.

Dès qu’un sanglier est atteint et mis à bas, chacun reprend sa place d’affût sur la lisière de la forêt et, pendant cinq heures, la chasse continue.

Ce sport n’est pas sans danger : il exige d’excellentes montures, bien dressées, n’ayant pas peur de la bête et sautant franchement les obstacles ; car, s’il est peu agréable, quand le sanglier traqué tient tête, de ne pouvoir forcer son cheval à lui faire face pour se défendre de la lance, il l’est moins encore d’être pris brusquement entre un fossé à franchir et la pique en arrêt de quelque kaïd arabe qui vous serre de près au galop.

Vers trois heures, quand les fourrés épais de chênes-liège et de