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grand événement qui vient de s’accomplir qu’à l’édifice ruiné dont elles ont utilisé plus ou moins la distribution et les matériaux.

En résumé, et pour en finir avec cette question de méthode, les causes d’une constitution politique ont leur siège, ou très loin de nous, ou beaucoup plus près qu’il n’a paru aux auteurs dont je critique la thèse. Ce qu’il faut aller étudier dans un passé très reculé, ce sont les dispositions originelles et profondes et, en quelque sorte, les premières pentes du caractère national ; elles s’y laissent d’autant mieux voir que les accidens historiques n’ont pas encore labouré et bouleversé le terrain ; elles expliquent la direction générale et mesurent la force du courant qui met en mouvement les mécanismes politiques. Quant aux mécanismes eux-mêmes, leur genèse et leurs transformations procèdent presque toujours de causes plus spéciales et plus pratiques, plus prochaines et plus contingentes. Je crois, pour mon compte, que l’organisation constitutionnelle et parlementaire, dont nos voisins ont donné au monde le premier et mémorable exemplaire, a des sources historiques plutôt que proprement ethniques ; elle est sortie des nécessités créées par les circonstances, et principalement par un grand événement fortuit, plutôt qu’elle n’est le legs transmis et accru régulièrement d’une génération à l’autre depuis l’époque de la conquête saxonne. On veut trop voir, à mon sens, dans la nation anglaise moderne une race qui, après la crise passagère de 1066, s’est ressaisie en quelque sorte, a repris possession d’elle-même et de son génie, et a retrouvé la voie d’où une violente secousse l’avait fait sortir. On la jugerait mieux en la considérant simplement comme une société politique qui, tombée au XIe siècle dans un état de désorganisation où s’éteignaient toutes ses forces vives, a rencontré à propos l’épreuve d’une grande révolution militaire, économique et administrative, et a reçu moins encore de l’événement lui-même que de la pression lentement appesantie de ses conséquences, moins encore des génies propres à chacune des races composantes que des conditions physiques et morales où le corps entier de la nation s’est trouvé placé, la consistance et la forme qu’elle a gardées substantiellement jusqu’à nos jours.


I

C’est en 1066 que se dessine et s’accuse la pente sur laquelle s’est déroulée toute l’histoire des institutions politiques anglaises. A la suite et par l’effet de l’invasion, la royauté et la féodalité se trouvent dans des conditions tout autres en Angleterre qu’en France ou en Allemagne. Les forces que déploient les deux pouvoirs, leur