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Les historiens africains disent qu’une femme d’Almanzor vendit ses pierreries pour les faire exécuter. Mais le peuple croit qu’elles sont là par enchantement, sous la garde de certains esprits, qui ont empêché plusieurs roys de s’en accommoder dans la nécessité de leurs affaires. Comme j’estois captif en Maroc, le chérif Muley-Hamet, plus avare que religieux, fit oster la plus haute. Et l’ayant fait défaire par un orfèvre juif, on vit qu’elle n’estoit pas toute d’or et que le dedans estoit de cuivre. Mais il ne laissoit pas d’y avoir pour 25,000 pistoles d’or. Et, comme le peuple en murmurait, Muley-Hamet fit dorer le cuivre et remettre la boule à sa place. Quelque temps après, on vit le juif pendu un matin au haut de la tour, et les ulémas de la mosquée dirent que c’estoient les esprits, qui avoient les pommes d’or en garde, qui l’avoient enlevé pendant la nuit et l’avoient pendu. De sorte qu’on n’y a plus osé toucher. »


Maroc, le 11 mars.

Aujourd’hui, visite au bazar ou sokkho. Le bazar se compose d’un dédale de rues, ou plutôt de ruelles, bordées de petites boutiques à hauteur d’appui, larges de 1m, 50 à peine. Le marchand est accroupi sur son étal.

Ces ruelles sont recouvertes, sur tout leur parcours, de treillages auxquels s’accrochent des vignes, des figuiers ou d’autres plantes grimpantes : l’ombre que projettent leurs branchages entrelacés et leur feuillage touffu est assez épaisse pour que la rue soit presque obscure et qu’il y règne toujours une douce fraîcheur ; mais, de ci, de là, par quelque interstice, la lumière pénètre et projette sur le sol et sur les étals des boutiques des barres lumineuses ou des taches éclatantes qui produisent les plus curieux effets.

Chaque corps de métier est groupé et occupe un quartier à part. Voici le quartier des étoiles, et sur les comptoirs s’entassent les larges broderies de soie rouge aux dessins capricieux, les haïcks de laine blanche fins comme du cachemire, les ceintures de femmes en soie violette lamées d’or, les pièces de drap aux nuances les plus délicates, rouge saumon, rose pile, jaune d’or brûlé, vert olivâtre. Plus loin, voici le quartier des cuirs, la grande industrie de Maroc, la seule qui n’ait pas déchu dans ce pays, où tout est en décadence : les larges peaux de maroquin rouge, les piles de babouches, de coussins et de sacoches encombrent les boutiques. Ici sont les selliers, et les rayons de soleil qui filtrent à travers la toiture de feuillage font miroiter les broderies d’or et d’argent des selles, des poitrails et des brides, ou viennent frapper d’un vif éclat les ciselures et les incrustations des mors et des boucles ou le damasquinage des larges étriers à deux tranchans. Plus loin sont les parfums et les produits