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historiette en badinant, c’est nous offrir, sciemment ou non, une dilution de la Visite de noces ; mais pousser ce badinage en vers d’une telle venue qu’ils rappellent tantôt que l’oncle de l’auteur, son bon oncle de France, a fait la Ciguë, et tantôt qu’il a fait Paul Forestier, n’est-ce pas presque une duperie ? L’étoffe, en vérité, est trop cossue pour la coupe que l’auteur en a faite ; nous le prions, pour une prochaine fois, de tailler en plus grand.

Feu de paille est gentiment joué par MM. Amaury et Barral, Mlles Marie Eiram et Rachel Boyer. Telle quelle, cette petite pièce aurait pu se produire avec plus de tapage : elle s’est glissée, avec une discrétion presque sournoise, dans une représentation populaire du lundi.

Mais que parlé-je de plus de tapage et de représentations populaires ? Elle a failli, justement, être marquée par un coup de canon, cette série de spectacles à prix réduit. Et c’est à peine si j’use de métaphore : au moins aurait-on tiré des pétards sur la place de l’Odéon. Il était question de célébrer, le 20 février au soir, l’anniversaire de la mort de Voltaire par une reprise solennelle de Mahomet. Le bruit s’était répandu que cette cérémonie se préparait à l’instigation et sous le patronage du conseil municipal de Paris. Ce lundi, sans doute, le quartier latin serait ému, comme le lundi 11 juillet 1791, alors que la pompe ordonnée par David avait porté les restes de Voltaire au Panthéon. Cette fois encore, pour fêter ce « mortel divin » retentirait l’hymne de Marie-Joseph Chénier avec la musique de Gossec :


Le flambeau vigilant de ta raison sublime
Sur des piètres monteurs éclaira les mortels ;
Fléau de ces tyrans, tu découvris l’abîme
Qu’ils creusaient au pied des autels ! ..


Ainsi monteraient vers l’auteur, dans un entr’acte de Mahomet, les meilleures voix des bataillons scolaires réunies en orphéon. Et dans les couloirs du théâtre, on vendrait, au profit des détenus politiques, une brochure de M. Edgard Monteil sur Voltaire, apôtre de l’enseignement laïque et obligatoire ; pour épigraphe, le publiciste aurait choisi apparemment ce passage d’une lettre à d’Alembert : « Il ne s’agit pas d’empêcher nos laquais d’aller à la messe ; » — à moins qu’il n’eût préféré ceci, adressé à M. de La Chalotais : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre, je vous présente requête pour avoir des manœuvres et non des clercs tonsurés ; » — ou ceci encore, à Damilaville : « Je crois que nous ne nous entendons pas sur l’article du peuple que vous croyez digne d’être instruit. J’entends par peuple la populace qui n’a que ses bras pour vivre. Je doute que cet ordre de citoyens ait jamais le temps et la capacité de s’instruire ; ils mourraient de faim avant de devenir philosophes. »