Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

position. C’est là justement sans doute ce qui a décidé l’attaque du général Komarof qui, du reste, en se portant sur les Afghans, en les rejetant hors de Penjdeh, n’a pas lui-même occupé la ville et paraît, au contraire, être rentré dans ses lignes. S’il en est ainsi, on se trouverait en présence d’une échauffourée malencontreuse, qui n’aurait pourtant rien d’irréparable. Le gouvernement du tsar, à qui le cabinet anglais s’est hâté de demander des explications, semble s’être borné à répondre qu’il avait besoin de voir plus clair dans la situation ; il a pris peut-être le parti le plus sage en se donnant à lui-même et en donnant au gouvernement anglais le temps de la réflexion, en faisant provisoirement observer que la conduite du général Komarof, telle qu’elle était représentée, excluait toute préméditation d’hostilité contre l’Angleterre, et en exprimant l’espoir que ce malheureux incident n’empêcherait pas la continuation des négociations. Au fond, la situation reste la même entre Russes et Anglais, s’observant, se serrant de près, sur cette frontière toujours indécise de l’Afghanistan.

Assurément cette affaire de Penjdeh est une complication bien inopportune ; elle a surtout cela de grave qu’elle a éclaté à un moment où toutes les susceptibilités étaient déjà éveillées en Angleterre par une série de mécomptes durs pour le sentiment national. Elle a violemment remué les Anglais offensés dans leur orgueil, froissés de voir des alliés, des protégés, les Afghans, si rudement traités par les Russes sous le regard même des officiers britanniques, spectateurs impuissans de la déroute. Elle a donné un prétexte à tous ceux qui, aux Indes ou à Londres, sont profondément convaincus qu’un jour ou l’autre il faudra affronter cette lutte, et qui pensent que mieux vaut l’accepter aujourd’hui, que plus on attendra, moins les conditions seront favorables pour l’Angleterre. Oui, certainement, cette affaire de Penjdeh a été un malheur. S’ensuit-il cependant que deux grandes nations doivent dès ce moment en venir aux mains, sous prétexte qu’on ne pourra un jour ou l’autre échapper à cette fatalité ? Que le gigantesque duel qu’on prédit toujours et dont le prix démesuré serait la prépondérance en Asie, doive éclater dans un avenir plus ou moins lointain, c’est bien possible. Pour aujourd’hui il ne s’agit point évidemment de ces révolutions indéfinies de territoires et de dominations. La Russie, satisfaite de ses conquêtes, préoccupée de les garantir, ne parait pas convoiter sérieusement l’Afghanistan, et son ambition ne va sûrement pas jusqu’à vouloir faire de Caboul ou d’Hérat une citadelle pour menacer l’empire indien de la reine Victoria. L’Angleterre, pour se défendre dans l’Inde, ne se propose pas sans doute de refouler la Russie dans ses anciennes possessions, au-delà de Khiva et de Bokhara, de Tashkend et de Samarcande. Entre la Russie et l’Angleterre, le principal et véritable intérêt est une