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et aussi les troupes italiennes. Plus près du centre, dans un jeu de paume, était le théâtre qui prit le nom même du quartier, le Théâtre du Marais, et où le Cid fut joué d’original. Scène et tréteaux se ressemblaient encore beaucoup ; l’Hôtel de Bourgogne, notamment, était, en partie, un théâtre forain : on jouait des parades à la porte avant la représentation. Autour du quartier, les amateurs de spectacle en plein vent n’avaient que l’embarras du choix : ils trouvaient sur le Pont-au-Change Jean Farine ; sur le Pont-Neuf, le Savoyard ; à la place Dauphine, le grand Tabarin. Il est probable que les petits Béjart firent le plus clair de leur éducation au milieu de la foule qui entourait ces artistes de la rue ; et aussi que, faute de quinze sous nécessaires pour entrer au parterre des deux théâtres réguliers, ils s’y faufilèrent souvent parmi les soldats aux gardes, les laquais et les pages qui s’arrogeaient le privilège de voir le spectacle sans payer. Les splendides habits des rois et des reines de tragédie, la joyeuse humeur de Colombine et d’Arlequin, la liberté de leur existence, la facilité apparente d’un métier si lucratif, tout cela devait produire une vive impression sur les enfans du pauvre huissier. De très bonne heure les deux aînés, Joseph et Madeleine, se firent eux-mêmes comédiens, sans prendre la peine de déguiser leur nom de famille sous l’un de ces pseudonymes prétentieux ou burlesques qui étaient alors de règle au théâtre.

Où jouèrent-ils ? On n’en sait trop rien. Peut-être dans une troupe d’amateurs, peut-être sur les tréteaux forains de la banlieue. La tradition veut qu’ils aient de bonne heure parcouru le Languedoc avec une « troupe de campagne. » En tout cas, ils n’y restèrent pas longtemps, car deux pièces authentiques établissent que Madeleine était à Paris au commencement de 1636 et au milieu de 1638. Le 10 janvier 1636, en effet, Madeleine Béjart, « fille émancipée d’âge, » assistée de son curateur, Simon Courtin, bourgeois de Paris, de son père, de son oncle paternel, Pierre Béjart, procureur au Châtelet, et de cinq alliés et amis de sa famille, demandait au lieutenant civil l’autorisation de contracter un emprunt ; elle possédait deux mille livres, et il lui en fallait deux mille autres pour acquérir une petite maison avec jardin située au cul-de-sac Thorigny. L’assistance que lui prêtent les personnes graves qui l’accompagnent, et parmi lesquelles figurent un « chef du gobelet du roi, » un avocat au parlement et « un fourrier du corps du roi, » permet de penser que les économies précoces de la jeune comédienne avaient une origine honnête ; mais rien n’est moins prouvé. Très peu de temps après, on la voit intimement liée avec un personnage dont les largesses pourraient bien être le point de départ de sa fortune : en effet, le 11 juillet 1638, était baptisée à Saint-Eustache « Françoise, fille de Esprit-Raymond, chevalier, seigneur de Modène