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et autres lieux, et de demoiselle Madeleine Béjart. » Madeleine et M. de Modène n’étaient pas mariés ; il y avait même, loin de Paris, aux environs du Mans, une légitime Mme de Modène, qui ne mourut qu’en 1649. Le parrain de la petite Françoise était le jeune fils de M. de Modène, représenté par un ami du père, Jean-Baptiste de l’Hermite, sieur de Vauselle, un gentilhomme poète et comédien, et la marraine dame Marie Hervé, la propre mère de Madeleine.

C’est là un singulier baptême. Mais faut-il grossir la voix à ce propos et appliquer à M. de Modène et à Marie Hervé les strictes règles de la morale bourgeoise ? Il y a ici plus à sourire qu’à s’indigner. Trois des personnes qui figurent dans l’acte n’appartiennent pas au monde vulgaire pour lequel sont faites la morale et ses lois ; elles vivaient en marge de la société, elles jouissaient d’une tolérance particulière, car l’une était un aventurier, l’autre une comédienne, la troisième une mère d’actrice.

Ainsi, prenons d’abord M. de Modène. C’est un gentilhomme du Comtat-Venaissin, riche et de vieille noblesse, poète à ses heures et fort répandu dans le monde de la littérature et des théâtres. Lancé dans une vie de plaisirs et de folles équipées, il occupe bientôt une place distinguée dans cette galerie d’originaux de grande race, fort braves et fort brillans, mais aussi dénués de sens moral que de sens commun, qui s’agitent autour de Gaston d’Orléans, forment le cercle de Marion de Lorme et de Ninon de Lenclos, se font un point d’honneur de braver publiquement les édits sur le duel, suivent en Allemagne, en Italie, en Hongrie, quelque aventurier comme eux, conspirent, sont condamnés à mort une ou deux fois, et meurent, qui en place de Grève, qui sur le pré, qui sur le champ de bataille, qui de vieillesse et dans leur lit. M. de Modène est de ces derniers. Mais, pour en venir à cette fin bourgeoise, que d’aventures ! Chambellan de Gaston, il entre, naturellement, dans les complots contre Richelieu ; grièvement blessé au combat de la Marfée, il parvient à se réfugier à Bruxelles et y apprend qu’un arrêt du parlement l’a condamné à mort. Il en profite pour se guérir et se reposer un peu. Richelieu et Louis XIII morts, il revient en France, mais il n’y reste pas longtemps : en 1647, il accompagne à Naples le duc de Guise, qui essaie d’y exploiter à son profit la révolte de Masaniello. De retour en France, il trouve sa femme morte et Madeleine Béjart vieillie ; il en profite pour se remarier avec la sœur de son ami l’Hermite de Vauselle. Cela ne l’empêcha pas de vivre toujours en excellens termes avec Madeleine. Peu de temps avant ce mariage, il tenait une fille de Molière sur les fonts, avec Madeleine pour commère ; plus tard, on voit Madeleine prendre soin des affaires de M. de Modène et s’efforcer de réparer une fortune compromise par tant d’aventures.