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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/135

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saurait être que la jeune fille épousée par Molière dix-neuf ans après. On n’a pas retrouvé l’acte de naissance de cette enfant ; mais on n’a pas découvert davantage l’acte de décès de son père. Ce n’est pas faute d’avoir cherché l’un et l’autre dans les registres des anciennes paroisses de Paris. Cette coïncidence, dans la même famille, d’une naissance et d’un décès dont la trace n’est pas restée à Paris, alors que l’on a pu retrouver la plupart des autres actes qui se rapportent à cette famille, donne naturellement à penser que les deux événemens eurent lieu, à la même époque, hors de Paris, dans quelque village où la famille possédait une maison des champs. On peut donc supposer, sans grand effort d’imagination, que Joseph Béjart mourut et fut enterré dans ce village inconnu, que sa dernière fille y naquit un peu avant ou un peu après la mort de son père, ce qui fit différer le baptême, enfin qu’elle fut baptisée au même endroit, quelque temps après la démarche faite par sa mère auprès du lieutenant civil.

Cette hypothèse ayant le défaut d’être trop simple, on la remplace ordinairement par de plus ingénieuses ; je choisis dans le nombre une des plus récentes. D’après celle-ci, la déclaration de Marie Hervé devant le lieutenant civil serait entachée de faux. Deux des enfans qu’elle présente comme mineurs, Madeleine et Joseph, ne l’étaient pas, la première ayant alors vingt-cinq ans et deux mois, le second vingt-six, et, selon la coutume de Paris, l’âge de la pleine majorité était vingt-cinq ans. On explique cette fausse déclaration en supposant qu’elle avait pour but d’attribuer à la complaisante Marie Hervé une enfant qui n’était pas la sienne, mais bien celle de Madeleine, désireuse de cacher à M. de Modène, absent de Paris, une maternité qui aurait amené une rupture. Mais quel rapport, dira-t-on, entre la fausse minorité et la supposition d’enfant ? Ici l’hypothèse devient encore plus ingénieuse : le premier mensonge n’avait pour but que d’amener le second, ou du moins la famille Béjart faisait d’une pierre deux coups, se dérobant à une succession onéreuse et sauvegardant, sinon l’honneur, du moins les intérêts de l’un de ses membres, c’est-à-dire de Madeleine.

Voilà de joli monde et un pur chef-d’œuvre de rouerie. Malheureusement, tout cela ne tient guère. D’abord, si Madeleine avait une enfant à cacher au comte de Modène, elle s’y prenait bien maladroitement. Admettons, à la rigueur, la complicité de sa mère ; par tout ce que l’on sait de Marie Hervé, on a le droit de la tenir pour une matrone fort obligeante ; passe encore pour celle de sa sœur Geneviève et de ses deux frères, quoique ce complot de famille devienne d’autant plus improbable qu’il englobe un plus grand nombre de conjurés et que la garde du secret, confiée à tant de