La tradition veut qu’elle ait fait représenter en province deux pièces qui se seraient perdues ; plus tard, dans la troupe de Molière, on la voit « raccommoder » une vieille comédie que l’on veut remettre au répertoire. À ces talens littéraires, elle joignait un sens remarquable des affaires : fille d’huissier, nièce de procureur, non-seulement elle donna ses soins aux affaires de M. de Modène, mais encore elle administra merveilleusement sa propre fortune et celle de Molière.
Cependant Béjart le père se faisait vieux ; il ne jouit pas longtemps du bien-être que les talens de sa fille durent apporter dans sa pauvre maison. Nous apprenons sa mort par une pièce très curieuse où figure toute sa famille survivante. Le 10 mars 1643, devant le lieutenant civil de Paris, comparaissait Marie Hervé, veuve de Joseph Béjart, « au nom et comme tutrice de Joseph, Madeleine, Geneviève, Louis et une petite non encore baptisée, mineurs dudit défunt et elle. » Que l’on veuille bien noter ces deux points-ci : la petite non baptisée et la minorité des autres enfans. Marie Hervé expose que « la succession de son défunt mari étant chargée de grosses dettes sans aucuns biens pour les acquitter, elle craint qu’elle ne soit plus onéreuse que profitable, » et elle annonce l’intention d’y renoncer. Un conseil de huit parens et amis, dont le procureur Pierre Béjart, l’assiste et comparaît avec elle. Le 10 juin de la même année, avec le consentement de ce conseil, elle fait sa renonciation.
Quelle était donc cette c(petite non baptisée ? » Grave question qui divise et passionne depuis longtemps les biographes de Molière. Elle a fait couler des flots d’encre, elle a donné matière à de copieuses dissertations ; elle a provoqué autant de systèmes que ces articles controversés de nos codes qui mettent en jeu les plus graves intérêts. C’est que nous touchons ici à un événement considérable de la vie de Molière, à son mariage. Dans la femme qu’il épousa, les uns voient une sœur, les autres une fille de Madeleine Béjart, et il serait d’une importance capitale pour l’honneur du grand poète que sa femme ait été seulement la sœur de Madeleine, et vraiment la fille de Marie Hervé.
Consultés sans parti-pris, les actes et les dates confirment pleinement cette dernière hypothèse. En effet, dans son acte de mariage, en 1662, la femme de Molière, Armande-Grésinde-Claire-Élisabeth Béjart, est dite fille de Joseph Béjart et de Marie Hervé ; et, dans le contrat qui précéda, on lui donnait l’âge de « vingt ans ou environ. » Cet âge s’accordant tout à fait avec la déclaration reçue en 1643. par le lieutenant civil, la u petite non baptisée » ne