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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/138

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pour la première fois dans le Languedoc ? Il est impossible de le savoir, et toutes les hypothèses imaginées pour remplir cette lacune de sa vie sont purement gratuites. S’il fallait en croire une tradition recueillie par l’auteur d’un pamphlet injurieux et mensonger, la Fameuse comédienne, elle se serait distinguée par ses galanteries. Ce ne peut être qu’à l’époque où nous sommes ; alors coïncidaient sa pleine jeunesse et sa pleine liberté, car elle avait vingt-trois ans, et M. de Modène était loin de Paris. Qu’y-a-t-il de vrai dans cette tradition ? Ici encore toute preuve manque pour ou contre Madeleine. Assurément, elle n’était pas farouche, et sa liaison avec M. de Modène autorise bien des suppositions, d’autant plus que, dénuée de fortune, comédienne sans théâtre connu, sa situation appelait naturellement une protection galante. Toutefois, puisque M. de Modène lui revint à son retour d’exil, puisque, dans tout ce que l’on sait d’elle, on la trouve amie dévouée, femme de tête et de sens, raisonnant ses actions, puisqu’il n’y a contre elle que ces vagues propos qui courent toujours sur le compte d’une comédienne, n’est-il pas aussi naturel d’admettre que la protection dont elle avait besoin lui fut continuée à distance par M. de Modène ? Plusieurs indices montrent que, jusqu’au second mariage du comte, en 1666, avec une autre qu’elle-même, elle conserva l’espoir de se faire épouser par lui, — ce qui n’avait rien de trop chimérique, puisqu’il se remaria avec une comédienne ; on a cru même, aux deux derniers siècles, qu’il y avait eu entre eux un mariage secret. À défaut d’autre considération, c’en était assez pour lui imposer envers son premier amant une fidélité d’autant plus solide qu’elle reposait sur l’intérêt. Je ne tiens pas à sa vertu plus que de raison : mère sans avoir été mariée et comédienne, elle avait dû prendre son parti de tout ce qu’on pourrait dire sur son compte ; il n’importe donc guère de tenter en sa faveur une réhabilitation qui n’irait pas sans un peu de ridicule. Mais il ne serait pas impossible que sa liaison avec M. de Modène ait été la première et la dernière. Cette liaison, en effet, ne prit fin qu’au moment où Madeleine atteignait ses quarante-huit ans, un âge qui dut être pour sa vertu relative la meilleure des sauvegardes. Elle ne fut même pas rompue par la ruine d’une longue espérance ; elle changea simplement de caractère et devint une solide amitié.


III.

Cependant le moment approchait où l’existence de Molière allait se mêler étroitement à celle des Béjart. Dès sa sortie des écoles, ou même avant, assidu, comme ses futurs camarades, à tout ce qu’il y avait de spectacles dans Paris, aux parades du Pont-Neuf comme