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il est difficile d’admettre que Molière ait été pour elle autre chose qu’un camarade d’abord, puis un associé et un ami. En effet, au moment où il se fait comédien, M. de Modène est près d’elle. Le comte, rentré de Bruxelles au mois de mai ou de juin 1643, se trouvait à Paris lors de la constitution de l’Illustre Théâtre et il ne partit pour Naples qu’en 1647. Il ne devait jamais, nous l’avons vu, rompre avec la mère de la petite Françoise et, à son retour d’exil, il renoua certainement les relations d’autrefois. Donc, si Molière aima Madeleine dès ce moment, il eut à subir un partage humiliant, intolérable pour un cœur vraiment épris ; il eut à tromper un homme dont il devint aussitôt l’ami et dont il fit plus tard le parrain d’un de ses enfans. S’il attendit le départ de M. de Modène pour Naples, son amour dut s’accommoder du souvenir importun de l’absent. Ce n’est pas tout. Les mêmes contemporains qui tiennent pour cette liaison ajoutent que Madeleine ne se piquait nullement de constance et que, dans le Languedoc, elle fit « la bonne fortune de quantité de jeunes gens. » Ici encore, on n’a pas le droit de distinguer et de choisir arbitrairement dans ces témoignages ; il faut prendre tout ou rien, puisque tout vient de la même source. Ainsi, ce serait d’abord avec M. de Modène, puis avec la jeunesse élégante du Languedoc que Molière aurait partagé sa maîtresse ! Enfin, on ne songe guère dans tout cela à la situation de Madeleine ; il faut pourtant en tenir compte. J’ai parlé plus haut de ses espérances de mariage avec M. de Modène ; elles lui imposaient une prudence qu’elle n’était pas femme à oublier. Or, même durant son voyage dans le Midi, elle ne se serait pas compromise sans danger, car elle avait près d’elle un ami de M. de Modène, L’Hermite de Vauselle, qui figure dans la troupe de Molière à Lyon.

Restent, cependant, les propos qui circulèrent de son temps sur elle et sur Molière et qui sont venus jusqu’à nous. Mais, comme ils s’expliquent aisément par les suppositions auxquelles invitaient le premier incident de sa vie, sa profession, son existence ! Tout le monde, c’est-à-dire ceux qui, de tout temps, s’occupent des comédiennes et du théâtre, tout le monde savait que jadis, à une date incertaine, elle avait eu une petite fille ; on ignorait, au contraire, dans ce même public, la tardive maternité de sa propre mère, Marie Hervé. Pour jouer la comédie avec elle, Molière avait rompu avec sa famille et la vie régulière ; il avait longtemps vécu près d’elle en province, loin de Paris. Elle était belle, il était jeune, on le lui attribua comme amant, ainsi que l’on fait toujours en pareil cas, sans songer que les amours de ce genre ne sont pas du tout la règle au théâtre. Une jeune fille grandissait près d’elle, Armande ; « c’était sa sœur, mais on la confondit avec cette petite Françoise dont