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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/155

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sollicitations, se serra autour de lui, les Béjart et Madeleine au premier rang. Louis XIV, non plus, n’abandonna pas Molière. Aussitôt la démolition du Petit-Bourbon commencée, il lui accorda la belle salle que Richelieu avait fait construire au Palais-Royal pour les représentations de Mirame, et M. de Ratabon reçut l’ordre de la mettre en état, ce qu’il fit en maugréant. Mais il restait beaucoup à faire pour les comédiens eux-mêmes ; dans l’état d’abandon où elle se trouvait depuis près de vingt ans, la pluie avait pourri les charpentes du toit, la moitié du plafond était détruite. Ils dépensèrent près de 2,000 livres, distribuées à toute une équipe de charpentiers, serruriers et maçons, dont un membre de la troupe, M. de l’Espy, le frère du fameux Jodelet, « conduisait les ouvrages. » Madeleine secondait L’Espy, ou plutôt L’Espy était le second de Madeleine ; il commandait aux ouvriers, elle réglait et soldait les dépenses. En trois mois, la nouvelle salle fut prête, et, le 20 janvier 1661, la troupe recommençait ses représentations.

Quelques jours après, le 4 février, Molière donnait ce Don Garcie de Navarre, sur lequel il comptait beaucoup, et qui tomba d’une chute si lourde. Madeleine dut y tenir le rôle de la confidente Elise. On peut encore lui attribuer, en toute vraisemblance, celui de la suivante Lisette, dans l’École des Maris, représentée bientôt après, le 24 juin, pour combler le vide produit par l’insuccès imprévu de Don Garcie. Elle est, cette Lisette, de la même famille que Marinette du Dépit amoureux, avec plus d’originalité encore, un bon sens plus aiguisé, une verve plus gaillarde ; la vérité de l’observation et la puissance créatrice s’y dégagent de plus en plus de la convention traditionnelle ; on y pressent déjà l’immortelle Dorine. Le 17 août, au château de Vaux, chez le surintendant Fouquet, Molière et sa troupe accomplissent un vrai tour de force. Ils donnent la comédie des Fâcheux, « conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours. » Cette fois, la part de Madeleine est bien connue. De nombreux témoignages lui assignent une part considérable dans le succès. C’est elle qui vint réciter, en costume de nymphe, le Prologue composé par Pellisson. Elle commençait à être un peu marquée pour ce rôle de beauté mythologique, car elle n’avait pas moins de quarante-trois ans, et cependant La Fontaine, un connaisseur, parlait d’elle avec admiration. De même le chroniqueur Loret. On rimait en son honneur un couplet galant :


Peut-on voir nymphe plus gentille
Qu’était la Béjart l’autre jour ?
Dès qu’on vit ouvrir sa coquille
Chacun s’écriait à l’entour,
Dès qu’on vit ouvrir sa coquille :
Voici la mère de l’Amour.