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social justifie-t-il les attaques des socialistes? C’est ce que je ne saurais croire. J’indique au surplus la question sans prétendre la traiter, mais comment ne pas dire un mot de celle qui domine tout, de ce rôle même de l’état, qu’il faut au moins définir en gros avant de faire la part des applications ? L’économie politique, à la prendre dans son ensemble doctrinal, a jusqu’ici regardé la liberté comme étant l’axe des travaux et des transactions qui relèvent d’elle. Elle l’a considérée non-seulement comme l’aiguillon qui stimule les aptitudes naturelles, mais comme un frein et comme une règle qui sert à classer les activités individuelles dans les différentes carrières. La concurrence, qui « met un juste prix aux choses, » selon le mot de Montesquieu, contribue en effet aussi à distribuer les travaux selon le taux mobile des profits, qui haussent ou baissent selon qu’il y a vide ou trop-plein. L’idée de l’état organisateur du travail ou compensateur des inégalités, si tant est qu’elle doive être admise au moins dans une certaine mesure, ne vient, en tout cas, qu’après cette idée de liberté, et c’est à l’autorité à faire la preuve, quand elle réclame le droit d’intervenir. Il s’en faut que le professeur de la faculté de Montpellier que nous avons le plus souvent occasion de citer se montre aussi affirmatif. Après avoir reconnu l’infériorité que présente aujourd’hui l’état pour beaucoup de services, M. Charles Gide ajoute : « Toutefois, rien ne prouve qu’il doive en être toujours ainsi, et il est à croire que le jour où l’état sera constitué sur des bases vraiment scientifiques, c’est-à-dire lorsqu’il sera la représentation fidèle de toutes les forces vives d’un pays, il pourra exercer dans le domaine économique une action plus rationnelle et plus efficace que celle des individus. » Fondemens scientifiques, nous y voilà! L’homme mathématiquement gouverné 1 La raison pure érigée en dogme accepté sans révolte des passions et sans résistance de la part des esprits dissidens !

Ainsi ce qu’on appelle l’individualisme, c’est-à-dire la liberté, n’aurait qu’une valeur transitoire qui laisserait place, un jour, à un état assez semblable à l’idéal saint-simonien, où l’état scientifique joue, en effet, un rôle analogue. Dans le présent même l’auteur préfère, au développement des forces individuelles, l’association. Faut-il dire que cette réduction de l’action personnelle, aujourd’hui prépondérante, au rôle de vérité contingente, nous inquiéterait fort, si nous pouvions y voir autre chose qu’un rêve ; mais il y a tel rêve énervant qu’il vaudrait beaucoup mieux ne pas faire. Dussent-ils trouver nos horizons bien restreints, nous dirons à ces socialistes de l’avenir que les raisons qui militent en faveur de l’initiative individuelle n’ont pas seulement une portée temporaire, soit morale,