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jamais donné. Il s’y est peint lui-même à des âges différens, car M. Ingres se peignait volontiers; il y a peint des femmes qui ont traversé la terreur, échappé à la guillotine, et qui pouvaient se croire à l’abri de la fortune adverse. A l’autre exposition, ce maître discuté et inégal était défendu par son Bertin; le puissant journaliste avait réponse à toutes les objections, il réduisait les malveillans au silence. Cette année, il manque à l’accusé un avocat de cette taille. Bartolini rappelle un peu Bertin ; le sculpteur est peint dans la même note, à la manière du Bronzino ; s’il n’y avait ici que ce portrait, il faudrait s’incliner respectueusement; mais je proteste au nom du sexe sacrifié. Passe encore pour cette dame en robe verte ; son miroir ne l’a jamais rendue heureuse, eût dit poliment Sainte-Beuve; elle se console avec la ligne classique de son bras, avec les opulentes cassures du velours vert sur ses manches à gigots. Il faut vraiment plaindre celles que l’artiste a vouées au bleu, à des bleus taquins et insolens dont il a le secret. Oh ! je sais bien ce qu’on va me dire, je vois les gens du métier pâmés sur la perfection de tel ou tel morceau de détail ; mais d’abord une femme n’est pas un assemblage de morceaux, c’est un tout de grâce ou ce n’est rien ; et puis la peinture est un art qui s’adresse aux yeux, les yeux jouissent ou souffrent par les couleurs, ils ne supportent pas un certain degré de provocation. Nous retrouverons en bas des dessins de M. Ingres ; là je le reconnais incomparable ; mais dès qu’il les porte chez le teinturier, je tremble. Dans un livre récent, M. Berthelot nous raconte comment nos premiers pères reçurent du ciel les élémens de la chimie. Certains anges, épris d’amour pour les filles des hommes, descendirent sur la terre et leur enseignèrent les œuvres de la nature. Dans leur tendre faiblesse, ils divulguèrent aux mortelles les secrets de Dieu, l’art de fondre les métaux, celui de broyer les couleurs et de teindre les toisons. La peinture naquit de ces révélations. M. Ingres n’est pas allé garnir sa palette chez ces maîtres célestes ; ce ne sont pas, à coup sûr, des anges amoureux qui lui ont appris l’emploi des couleurs.

Sur ces tristes sujettes règne un Charles X, représenté dans le costume du sacre, comme tout à l’heure Napoléon. M. Ingres l’a fait plus modeste et plus humain que l’empereur apocalyptique. Aussi bien le vieux roi ne règne que sur un panneau. Celui d’à côté appartient déjà au roi Louis-Philippe, qui chevauche, entouré de ses fils, et passe la revue de sa bonne garde nationale. Du palier qui donne sur cette pièce, l’énorme Napoléon contemple ses successeurs. Il faut que les rois se pressent dans la chambrée commune, qu’ils se contentent d’un pan de mur et vivent en bons frères. Chacune de ces salles doit contenir un quart de siècle, et nous n’accordons