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pas cette durée à nos maîtres. On s’avise ici qu’il ne serait pas simple d’inculquer les premières notions de notre histoire à un étranger ignorant qui viendrait les y chercher. En voyant tant de souverains dans un espace si étroit, il s’imaginerait sans doute que nous étions naguère une fédération, gouvernée par des dynasties parallèles ; ainsi, et faute de regarder chez eux, les égyptologues se trompèrent longtemps; désespérés par la multitude des noms et des statues de Pharaons, ils supposèrent que les vallées d’Egypte obéissaient simultanément à plusieurs princes ; il eût été plus simple de se dire que ce pays était, comme le nôtre, un royaume à révolu tions fréquentes et périodiques ; ce que la science a fini par prouver.

Suivant une coutume qui n’est pas pour nous étonner, ces princes en disgrâce ont gardé auprès d’eux fort peu de leurs courtisans. Ils ne voient alentour que des gens désagréables et des objets menaçans. Ici un voisin dangereux, Lafayette sur son cheval blanc, dans cette esquisse de Reynolds ; il est à côté de Washington, qui semble lui donner un ordre et lui montrer la route de son bras tendu ; cet Américain envoie son ami porter la république au vieux monde. Là, Paul-Louis Courier, Jacques Laffitte, Odilon Barrot, Manuel, un bourgeois bien correct et bien calme; je ne croirai jamais qu’il puisse avoir des démêlés avec la gendarmerie. Ce prélat, peint par Mauzaisse, devrait du moins rassurer les rois ; fort peu, c’est Grégoire, évêque de Blois. Au-dessus de l’évêque et de Louis-Philippe, la Taglioni s’enlève jusque dans les frises; le roi a sous les yeux un objet moins aimable, la tête de Fieschi. Je n’insisterai pas sur ce grand régal de la curiosité, qui est par surcroît un des meilleurs morceaux dus au pinceau de Brascassat. Tous les journaux vous ont déjà conté comment cette tête fut peinte à l’amphithéâtre, vingt-quatre heures après l’exécution, comment elle est signée avec le propre sang de l’original, comment la guillotine se profile dans le fond du tableau, et autres aménités. Qu’on dise encore que nous ne sommes pas respectueux des anciennes renommées ! Durant quelques jours, Fieschi a retrouvé assez de lustre pour balancer la vogue de Marchandon.

Tout cela est fort curieux, mais la peinture ? diront les amateurs. Ils ne laisseront pas que de m’embarrasser. Il est bien peu de ces tableaux qui retiennent, autrement que par l’intérêt du sujet. Cela vient peut-être de ce que les artistes de cette époque, Géricault, Delacroix, Ary Scheffer, se portaient de tout leur effort vers les belles créations imaginaires ou historiques ; l’étude de la vie quotidienne, pratiquée sur les visages de leurs contemporains, passait au second plan dans leurs préoccupations. Aujourd’hui nous faisons de meilleurs portraits ; nous ne faisons pas le Naufrage de la Méduse et l’Entrée des croisés. On a gardé à l’École des Beaux-Arts