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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/216

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la fidélité était fort raisonneuse, et, se flattant d’être plus sage que ses rois, elle ne les croyait point sur parole.

Le vrai royalisme est une religion. Le petit nombre d’hommes qui la professaient dans son intégrité étaient disposés à s’abstenir, à se retirer de tout, à s’enfuir, comme les ermites de la Thébaïde, loin d’un monde profane qui ne connaissait plus le vrai Dieu que de nom. Le jour où le marquis de Clermont-Tonnerre fut appelé à la chambre haute, il crut à une méprise, à une confusion, et que c’était le vicomte son père qu’on avait voulu nommer. — « Non, non, lui dit le vieux gentilhomme, c’est bien de toi qu’il s’agit. Profite de ta nomination, si cela te fait plaisir. Tu es jeune, cela te va mieux qu’à moi; si j’étais nommé, je refuserais, je te le déclare. J’appartiens à une autre époque et ne veux être pour rien dans ces tripotages, qui ne sont que de la révolution. » Le fils, comme le père, était d’une autre époque. L’un regrettait l’ancien régime, l’autre avait vu de près Napoléon, et il pensait que ce maître homme avait découvert la seule méthode de gouvernement qui convienne aux sociétés modernes, « attendu qu’on ne peut agir sur les peuples très civilisés ni par les sentimens généreux, qui se perdent avec la religion et la morale publique, ni par les illusions que les lumières dissipent, et qu’ils ne sauraient être gouvernés que par une autorité dont la force est évidente et présente. » Il accepta pourtant la pairie, mais il avait une invincible répugnance pour le système parlementaire; il était fermement convaincu que des ministres nommés par le roi étaient les ministres du roi, que leur sort ne devait jamais dépendre des caprices d’une chambre.

Il eût dit volontiers aux conseillers de Louis XVIII : « Tenez-vous-en au pouvoir fortement constitué que vous a légué l’empire ; conservez le lit de Bonaparte et couchez-y le roi. » Toutefois il ne le disait pas; il considérait que « le roi ayant juré la Charte, elle était devenue une véritable lettre de change signée Maison de Bourbon et que le jour où cette lettre de change se trouverait protestée, la maison de France aurait fait banqueroute. » Mais cette malheureuse charte le chagrinait, l’inquiétait beaucoup, il la jugeait incompatible avec une vraie, monarchie, et il s’obstinait dans l’idée que, pour sauver leur couronne, les Bourbons devaient « s’assurer l’appui d’une armée disciplinée, forte et satisfaite. »

il appelait de tous ses vœux une grande et glorieuse guerre, qui servirait de dérivatif aux querelles des partis, qui occuperait la France et flatterait l’honneur national. Ce fut sa principale préoccupation pendant son ministère, et dès 1827, il a si bien tracé dans ses grandes lignes le plan de l’expédition d’Alger que, comme le remarque son biographe, trois ans après, l’armée conquérante n’a pu mieux faire que de le suivre. — « Sire, disait-il. Votre Majesté ne doit pas se dissimuler