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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/218

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leurs insatiables avidités ; il les accusait de travailler par leur opposition factieuse au discrédit et à la ruine de l’autorité royale. À cheval sur leurs droits parlementaires, ils se regardaient comme souverains en matière de budget et même souvent en matière d’administration, et ils prétendaient se servir de la charte pour renverser l’un après l’autre tous les ministères modérés qui avaient la confiance et l’oreille du roi. « Ils ne tendaient à rien moins, comme le dit fort justement M. Rousset, qu’à tout envahir, à tout absorber, à réunir dans leurs mains tous les pouvoirs, à reprendre en quelque sorte au roi l’autorité royale pour la lui rendre façonnée à leur guise, plus forte, plus énergique, plus absolue, à condition toutefois d’en être les instrumens et les organes. » On les vit plus d’une fois voter avec autant d’ardeur que la gauche les lois les plus favorables à la presse. Quand M. de Clermont-Tonnerre s’en étonnait, on lui répondait : « Sans la liberté de la presse, nous ne pourrons jamais nous débarrasser des ministres qui, selon nous, perdent la royauté ; mais soyez tranquilles, le jour où nous aurons des ministres dignes de notre confiance, nous leur donnerons tout le pouvoir qu’ils voudront sur les journaux. » Quelques années plus tard, l’un des chefs du parti, M. Corbière, lui disait : « Je sentais bien, dès ce temps-là, que, malgré nous, nous affaiblissions par notre opposition un pouvoir déjà trop faible, que nos attaques passaient souvent par-dessus les ministres et arrivaient jusqu’au trône. Et maintenant, je vous le dis sincèrement, j’en ai des remords. » Le repentir est la plus inutile des vertus ; l’histoire n’en tient aucun compte.

Cependant, quelque mal qu’aient pu faire les ultras à la cause qu’ils faisaient profession de défendre, ils n’étaient pas tous des quémandeurs de places, des brouillons ou des fous, et tout n’était pas absurde dans leurs théories. Les hommes fort intelligens qu’ils avaient à leur tête n’avaient pas tort de douter que la constitution anglaise convînt à tous les peuples, que la France s’accommodât d’un habit fait pour une autre taille. Ils ne se trompaient pas quand ils affirmaient que la monarchie qu’on venait de restaurer avait besoin pour vivre d’être entourée d’institutions monarchiques empruntées à l’ancien régime, à savoir d’une noblesse indépendante, d’un clergé propriétaire et non salarié, d’assemblées provinciales, de corporations d’arts et métiers. Ils pensaient que, selon le mot de l’évangile, il ne faut pas mettre le vin vieux dans des vaisseaux neufs, qu’on perd son temps à vouloir accorder les contradictions, que la politique est l’art d’assortir les choses.

Leur malheur était de demander l’impossible. Quels vestiges subsistans du passé pouvait-on retrouver dans une société balayée par les tempêtes ? Et le moyen de concilier les rénovations qu’on rêvait avec