les intérêts créés par la révolution, consacrés par l’empire et qui, prompts à s’émouvoir, ardens à se défendre, s’agitaient à la moindre alerte comme un oiseau de proie dont on inquiète le nid? On leur disait pour les rassurer : « Ne craignez point, nous ne voulons point vous faire de mal, nous n’avons pas le cœur si noir qu’on le prétend. Nous maintiendrons l’abolition des privilèges et des corps privilégiés, l’égalité civile, la liberté des cultes, et nous ne toucherons point aux biens nationaux. Mais si nous respectons les droits acquis, nous n’admettrons plus à l’avenir l’application des principes qui les ont créés et que nous regardons comme destructeurs de tout gouvernement. » C’était dire : « Ce que vous appelez l’ordre n’est qu’un désordre, et quand nous serons les plus forts, vous verrez beau jeu. » En 1814, les ultras avaient comparé le général Soult, devenu ministre de la guerre de Louis XVIII, à un chat qui pense sept fois par jour à étrangler son maître; les ultras étaient une autre espèce de chats et ils pensaient plus de sept fois par jour à étrangler la France nouvelle.
M. de Vitrolles était à ses heures un vrai philosophe, autant que peut l’être un homme d’intrigue : — « Le rétablissement de l’ordre ancien, lit-on dans ses Mémoires, comptait de nombreux partisans parmi les royalistes; c’était, suivant eux, la seule garantie de l’avenir et une juste vengeance des maux soufferts. D’ailleurs, le rétablissement de l’ancienne dynastie semblait exiger le rétablissement de l’ancien gouvernement. L’instinct du roi et des princes s’y portait naturellement, lors même que leurs intentions les en détournaient. On serait revenu volontiers à ce passé que chacun reconstruisait à sa manière, mais dans lequel chacun se serait peut-être trouvé fort mal à son aise. » C’était la logique des choses, et tôt ou tard cette logique devait mener aux abîmes. Tant que Louis XVIII vécut, on put s’aveugler sur l’évidence du péril. Il avait trop d’esprit pour n’avoir pas des doutes et une dose d’indifférence, et dans certains cas l’indifférence est le salut des rois. M. Beugnot disait de lui : « Nous devrions bénir le ciel de nous avoir pétri un roi d’une pâte composée de la plus fine fleur de la farine constitutionnelle. » Son long séjour en Angleterre, son tempérament, ses qualités, ses défauts, son âge, tout le disposait à se contenter d’une royauté à l’anglaise. Il chargeait volontiers les autres de régler ses volontés. Il avait ses fantaisies; mais dans les affaires d’état, il consultait, il écoutait et se bornait à décider entre des avis différens. Laissant les ultras se plaindre « que le triomphe de la cause pour laquelle ils avaient tant souffert n’eût abouti qu’à un pacte avec la révolution, » il n’accordait sa confiance qu’aux esprits modérés, à ceux qui prêchaient la fusion des partis, ce juste milieu que M. de Vitrolles traitait d’idée métaphysique. Il aimait son Horace, et son Horace avait toujours aimé les milieux.