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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/220

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Après lui, la fatalité des instincts prévalut sur la prudence. A la première difficulté sérieuse qu’il rencontra, son successeur, qui n’avait jamais séparé la religion de la politique, renonça à forcer son naturel; il s’affranchit des vains égards, des devoirs convenus, il montra à la France son vrai visage et lui déclara sans détour qu’un Bourbon qui se respecte ne peut être qu’un roi chouan. En 1830 a été résolue la question de savoir si les sociétés modernes doivent être gouvernées par les dogmes ou par les intérêts. M. de Clermont-Tonnerre avait annoncé dès 1817 que Monsieur, en arrivant au trône, voudrait rentrer dans ses droits comme dans son bien, que tôt ou tard ses prétentions l’engageraient dans un redoutable conflit avec la chambre, « dont l’influence s’étendrait jusque sur l’esprit des troupes. » Il concluait en ces termes : « Un homme dans la personne duquel tous les intérêts de la révolution se trouveront concentrés sera présenté à la nation comme le seul qui, ayant intérêt à leur maintien, saura toujours les respecter et les défendre. L’idée parricide de la révolution se trouvera réalisée, et la révolution vraiment consacrée avec le moins d’ébranlement possible. » Ce jour-là, M. de Clermont-Tonnerre avait été prophète ; il avait prédit treize ans d’avance les journées de juillet et la royauté bourgeoise.

Il ne voulut point la servir; il avait prêté, disait-il, son dernier serment. Le propriétaire de Glisolles et d’Achy, partagea désormais sa vie entre ses affaires, son jardin, ses bois et l’étude. En 1811, après avoir quitté le service d’Espagne, il s’était mis au grec. Il amusa son loisir et sa vieillesse en traduisant Isocrate. On a peine à croire qu’il goûtât beaucoup cette prose travaillée jusqu’à l’excès, ces périodes savamment balancées, où l’artifice est trop sensible. Ce qu’il admirait sans doute dans ce professeur de rhétorique, c’était le moraliste, l’homme de bien, le sage, le patriote, découragé, mais non désespéré, qui, gardant le culte de la vieille Athènes, ne laissait pas de s’accommoder aux temps, tâchait de voir le bon côté des hommes et des choses, acceptait tout, même Philippe de Macédoine, et conciliait tous les regrets avec toutes les résignations. Comme Isocrate, M. de Clermont-Tonnerre fut jusqu’à la fin fidèle à ses souvenirs. Ce qui se passait n’était pas pour lui plaire ; mais il ne boudait point. Au surplus, quand on a le bonheur de savoir le grec, on n’est jamais tout à fait malheureux.


G. VALBERT.