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du Tonkin ? Pas le moins du monde ; la question reste la même, et notre misère est justement d’avoir changé de position sans retrouver une direction supérieure, indépendante des partis, uniquement inspirée de l’intérêt national, au moment où tout s’agite en Europe, où se préparent peut-être les événemens les plus graves et les plus décisifs.

Elle a été si instantanée et si brusque, cette crise qui a éclaté il y a un mois et a d’un seul coup emporté le ministère de M. Jules Ferry, qu’on a eu à peine le temps de se reconnaître, de se demander ce qu’on faisait. Le premier moment a été tout entier à la surprise, à une sorte d’effarement instinctif. On n’a vu que cette diversion cruelle, imprévue de la retraite de Lang-Son, qui trompait tous les calculs, et des ministres décontenancés, qui ne se défendaient même pas. On est allé, comme on va presque toujours dans les heures de trouble, aveuglément, sans chercher à éclaircir les faits, sans attendre les plus simples explications. Ce n’est qu’après quelques jours, après un interrègne laborieux et la formation d’un cabinet, ce n’est qu’alors qu’on a commencé à réfléchir, que partisans et adversaires du ministère tombé se sont retrouvés en présence, se demandant compte de ce qui venait de se passer. En réalité, cette crise qui est née du trouble soudain d’un parlement effaré a eu surtout un résultat : elle a mis brusquement à nu les faiblesses de toute une politique en même temps que le désordre des partis qui se disputent le droit de gouverner la république, et, depuis un mois, nous avons cet édifiant spectacle de républicains des divers groupes, opportunistes et radicaux, récriminant, se querellant, se renvoyant la responsabilité d’une situation compromise. C’est comme une liquidation des griefs réciproques. — Les opportunistes mécontens, encore mal remis de la chute de M. Jules Ferry, accusent les radicaux d’avoir tout perdu par leurs exigences, par leurs déclamations, par leurs chimères, et en fin de compte d’avoir sacrifié à de vaines rancunes, à de frivoles ressentimens un ministère qui faisait si bien les affaires du parti républicain. Les radicaux, à leur tour, accusent les opportunistes de n’être qu’une coterie sans scrupules, de discréditer la république par leurs âpretés de domination, par leurs procédés de gouvernement exclusif et arbitraire, de n’avoir régné que pour satisfaire leurs intérêts, assouvir leur clientèle et s’assurer à tout prix les influences électorales ou les positions lucratives. — Depuis quelques semaines, le dialogue continue, toujours aussi animé et aussi piquant, entre républicains, qui doivent apparemment se connaître. Là-dessus surviennent de pseudo-modérés, gens de bon conseil, médiateurs intrépides de toutes les négociations difficiles ; ceux-là trouvent que les opportunistes ont bien quelque raison contre les radicaux, qui sont réellement un peu excessifs, que les radicaux, de leur côté, n’ont pas