dont il a le secret et qui « tuent, tuent, tuent. » Elle lui écrit après son départ : « Continuez à me traiter ainsi, et je ne vous gênerai pas longtemps. » Quand il l’a ainsi bien torturée, un retour de tendresse efface tout et éveille des transports de bonheur. Il a des jours où il redevient caressant, où il se plaît à rappeler les souvenirs de leur amour, où il termine une lettre ainsi : « Soyez assurée que jamais personne du monde n’a été aimée, honorée, estimée, adorée par votre ami, que vous[1]. » Ses visites se font moins rares et Vanessa plante un laurier en l’honneur des Muses chaque fois que son dieu lui apparaît. Elle n’est pas exigeante; au plus léger signe d’affection, elle s’écrie dans un égarement de joie : « Quelles sont les marques de la divinité qui vous manquent? Vous avez l’omniprésence : votre chère image est toujours devant mes yeux. Tantôt vous me frappez d’une crainte prodigieuse et je tremble. Tantôt une compassion charmante brille à traders votre contenance et me remue l’âme. N’est-il pas plus raisonnable d’admirer une forme radieuse qu’on a vue qu’une forme connue seulement par description? »
Tandis que ce torrent brûlant se déversait sur Swift, le dépérissement et la tristesse de Stella devenaient visibles à tous les yeux. Pendant les années de séparation, elle avait bien senti que l’ambition, le monde, les succès, l’empressement de femmes plus jeunes et plus belles, lui prenaient peu à peu son ami. En le retrouvant, elle avait mesuré combien la place qu’elle occupait dans sa vie s’était rétrécie. Elle était à présent si peu de chose pour lui, qu’il ne l’avait pas comptée pour une compensation à l’exil d’Irlande. L’éloignement avait refroidi Swift, l’ennui et l’irritation le rendirent encore plus froid. Puis vint Vanessa, jeune, brillante, riche. Stella avait passé la trentaine. Elle n’avait jamais été élégante, et elle avait toujours vécu obscurément. Elle se crut vaincue et elle s’affaissa sous le poids du chagrin en songeant au passé. Elle avait supporté pendant de longues années les soupçons du monde, compromis sa dignité au point d’accepter une pension de l’homme qu’elle regardait comme son fiancé, et voilà quelle était sa récompense ! Son visage douloureux et chargé de reproches éveilla des remords dans le cœur de Swift. Jusqu’où allèrent ses remords, les recherches les plus soigneuses n’ont pu l’éclaircir. Les uns ont assuré et les autres ont nié, sans aucune preuve probante d’aucune part, qu’en 1716, ému du sombre désespoir de Stella, Swift avait consenti à l’épouser, sous la condition que leur mariage serait secret et qu’il ne changerait rien à leurs relations. La cérémonie aurait eu lieu la nuit, dans le jardin du doyenné. Dans l’incertitude où est
- ↑ En français dans l’original.