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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/366

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contemplé leur modèle, font son portrait de mémoire ; quand un autre peintre copie de souvenir un Martyre de saint Pierre par Rubens avec une exactitude à tromper les connaisseurs, on devine bien que la conservation et la reproduction si exactes des impressions reçues doit avoir ses causes dans les organes. Pourtant n’y a-t-il ici rien de plus qu’un mécanisme, qu’une danse subtile d’atomes formant des figures variées en harmonie avec celles de l’univers ? Ne serait-ce point un tort égal ou de trop négliger l’élément physiologique de la mémoire ou d’en méconnaître l’élément psychologique, qui est, selon nous, la sensibilité, non la « raison ? » C’est ce que nous nous proposons d’examiner. Nous verrons d’abord si on ne peut pas pousser plus loin encore qu’on ne l’a fait, dans leur sphère légitime, les explications mécaniques de la mémoire. Puis nous rechercherons si ce mécanisme n’a pas sa limite dans un élément qu’on n’y saurait réduire : non l’esprit pur, mais la sensation même, avec l’appétit qui en est inséparable.


I.

Les études contemporaines sur la mémoire et l’association des idées nous semblent confirmer la doctrine selon laquelle les idées ou images sont des forces, en ce sens qu’elles ont une intensité et enveloppent une tendance au mouvement. Il y a dans la conscience un conflit de représentations possibles dont chacune fait effort pour survivre ou revivre. Ces représentations offrent tous les degrés de vivacité et de ténacité. Il est clair, par exemple, qu’après la mort d’une mère, son image est plus vive et plus tenace que la représentation d’une promenade ou d’une partie de plaisir. Le souvenir douloureux a une force qui repousse toutes les représentations agréables. En parlant d’idées-forces, nous ne considérons pas les idées, ainsi que l’a fait parfois l’école de Herbart, comme des espèces d’entités ayant chacune une existence à part, agissant l’une sur l’autre à la façon d’un acide et d’une base mis en présence. Les idées ou images sont pour nous des états de conscience qui présupposent des sentimens et aboutissent à des mouvemens. Ces sentimens et ces tendances motrices n’ont pas toujours des formes déterminées, des limites et des contours précis : ce sont des états continus et reliés à d’autres états par des transitions souvent insensibles. Ainsi entendues, les idées-forces, c’est-à-dire les états de conscience corrélatifs aux vibrations du cerveau, luttent pour la vie, et les plus fortes l’emportent par une sélection analogue à la sélection naturelle, qui elle-même n’est qu’une extension de la loi du « parallélogramme