prévoir en quel sens le problème sera résolu. Il le sera en faveur de la physiologie, peut-être un peu aux dépens de la psychologie. M. Ribot, d’ailleurs, nous dit lui-même le but de son livre : montrer que le souvenir conscient est une simple « efflorescence, » dont les racines plongent bien avant dans la vie organique ; « la mémoire est, par essence, un fait biologique ; par accident, un fuit psychologique. » Voilà donc la conscience reléguée humblement parmi les accessoires ; la conscience sans laquelle nous ne pourrions penser ni à notre cerveau, ni à l’univers, ni à ses lois mécaniques ou biologiques, et sans laquelle nous ne nous poserions pas le problème de la mémoire. — Pour la plupart des psychologues, au contraire, par exemple pour M. Louis Ferri, professeur à l’université de Rome, et aussi pour M. James Sully, un des psychologues les plus distingués de l’Angleterre, l’acte que M. Ribot considère comme l’accidentel est précisément l’essentiel ; se rappeler le Colisée, c’est avant tout avoir conscience d’une image actuellement présente à l’esprit et la reconnaître identique à un état de conscience passé. Pour d’autres philosophes encore, comme M. Renouvier, c’est moins la reconnaissance des idées que la distinction des temps qui est constitutive du souvenir. Enfin, pour M. Ravaisson, c’est la raison même, u la raison qui lie les idées » et qui conçoit « l’éternel. » Nous trouvons ainsi deux camps en présence ; celui des « mécanistes » et celui des « intellectualistes. »
Qu’il y ait dans la mémoire un automatisme capable de fonctionner tout seul, c’est chose évidente ; les maladies mêmes et les illusions dont elle est susceptible prouvent ce qu’il y a de délicat et de fragile dans cette merveille de mécanique naturelle. Si un savant, après avoir reçu un coup violent sur la tête, oublie tout ce qu’il sait de grec sans oublier autre chose, et si plus tard, par l’effet d’un second coup, il retrouve soudain son grec perdu, il est bien difficile de voir dans le souvenir, avec M. Ravaisson, une action toute spirituelle. Le côté automatique de la mémoire, surtout de la « mémoire passive, » est mis en lumière par certains faits extraordinaires, où les choses sont conservées et reproduites avec une telle facilité qu’on y reconnaît du premier coup un effet machinal. Quand, dans l’asile d’Earlswood, un imbécile peut répéter exactement une page de n’importe quel livre, lu bien des années auparavant et même sans la comprendre ; quand un autre sujet peut répéter à rebours ce qu’il vient de lire, comme s’il avait sous les yeux une « copie photographique des impressions reçues ; » quand Zakertort joue, les yeux bandés, vingt parties d’échecs à la fois, sans regarder autre chose que des échiquiers imaginaires ; quand Gustave Doré ou Horace Vernet, après avoir attentivement