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— Cet effet s’explique par la loi de l’équilibre et de l’équivalence des forces. Si je concentre l’innervation sur un point, je la diminue par cela même sur d’autres points. Une petite douleur peut même en soulager une grande : on se mord la langue pour sentir moins une violence souffrance, on dépense du mouvement en gestes convulsifs pour retirer de l’innervation à un point du corps violemment atteint et pour diminuer ainsi la douleur. L’attention produit de même ce que les physiologistes appellent un effet suspensif et « inhibitoire » sur les centres affectés par la douleur, tout comme je puis, par ma volonté, produire pendant quelques instans un effet suspensif sur ma respiration.

Il résulte de la loi précédente qu’un excès d’attention consciente et de médiation volontaire peut parfois nuire au succès d’une opération ou d’une recherche, — comme la recherche d’un souvenir oublié, — mais en tant seulement que cette opération est automatique. Si un pianiste exercé veut faire attention à toutes les notes d’une gamme rapide, il contrarie, au lieu de les favoriser, le jeu automatique de ses mains et les associations inconscientes de ses mouvemens, car il leur enlève au profit de sa conscience une partie de l’innervation nécessaire. De même, quand nous cherchons un souvenir, si nous concentrons trop notre attention sur un point, nous empêchons le courant nerveux de se répandre dans les divers groupes de fibres cérébrales et d’associations aboutissant à l’objet cherché. Dès lors, pour peu que nous ne soyons pas dans la bonne voie, plus nous cherchons et moins nous trouvons. Au contraire, laissons l’esprit se détendre et le courant nerveux s’irradier : il arrive qu’après un certain temps l’association cherchée se produit spontanément ; en s’étendant de courans en courans, l’espèce d’aimantation cérébrale a fini par « induire, » parmi les courans sympathiques, celui qui répond à l’idée cherchée. La méditation et l’inspiration spontanées ne sont donc pas en raison directe l’une de l’autre. L’inspiration spontanée est due à l’automatisme des associations d’idées, qui fonctionne dans le cerveau d’une manière souvent inconsciente pour nous. La méditation peut l’entraver quand elle lui dérobe une partie de l’innervation nécessaire. Mais, même dans ce cas, la conscience se manifeste comme une force qui intervient dans le cours des idées : alors même qu’elle le détourne, elle montre encore son pouvoir. Si elle est parfois un obstacle au lieu d’une aide, toujours elle agit, nulle part elle n’apparaît comme un « accompagnement » passif et inefficace.

La véritable utilité de la conscience, dans l’inspiration, c’est de poser le but et l’effet final à atteindre : les moyens se présentent ensuite d’eux-mêmes en vue de la fin. Ainsi procèdent l’orateur et