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moi, et, le lendemain matin, des centaines d’ennemis gisaient au fond des fossés. » Le soldat en question reçut la croix de Saint-George.

Les tranchées étant suffisamment avancées, l’assaut fut fixé au 12 janvier. Le 12, au matin, le canon commença son œuvre de destruction. Les murs s’écroulaient dans les fossés pendant que les défenseurs bouchaient les brèches avec des sacs pleins de terre pour rouler quelques instans après déchirés au pied des remparts ; quand les brèches furent assez larges pour permettre l’assaut, l’artillerie transforma l’intérieur de la forteresse en enfer. Qu’on se figure cette immense place couverte de soldats, serrés en masses compactes près des créneaux et des brèches, ainsi que 7,000 femmes et enfans réfugiés dans leurs kibitkas en feutre et dans des niches creusées dans les murs, exposés au tir rapide de tant de bouches à feu, vomissant à chaque minute des centaines d’obus qui éclataient au milieu de cette foule, et l’on aura une légère idée de ce qui s’y passait. Soudain on entendit une détonation formidable, la terre trembla, une colonne noire s’éleva au ciel ; c’était une mine qui venait de détruire une partie des fortifications et de ses défenseurs. Les Russes se jetèrent dans les brèches, une lutte terrible à l’arme blanche s’ensuivit, et les Tekkés, cette fois, abandonnèrent la position, poursuivis par les cosaques, qui les sabraient sans pitié. Le soir, dans l’intérieur de la citadelle, on ramassa 6,000 cadavres; 1,500 femmes et enfans blessés, les seuls survivans, affolés de terreur, erraient dans ces ruines.

La prise de cette place eut un tel retentissement dans l’Akhal que toute résistance cessa aussitôt, et la tribu turcomane la plus sauvage, la plus indomptée, offrit sa soumission aux vainqueurs. Les chefs des villages, et jusqu’à Tokma-Serdar, le défenseur de Ghéok-Tépé, vinrent jurer fidélité au quartier-général.

Le nouveau district de l’Akhal, dont le chef-lieu est Askabad, compte près de 60,000 kibitkas, habitées par des Tekkés (chèvres, dénomination qui leur vient probablement de l’agilité avec laquelle ils escaladent à cheval les flancs escarpés des montagnes qui bordent leur oasis au sud). Les Tekkés forment également la majeure partie de la population de l’oasis de Merv. Suivant Grodékof, ils habitaient jadis la presqu’île de Manghichlak, d’où ils furent chassés en 1718 par des Kalmouks, — Vambéry dit par les Kaïzaks. Fuyant au sud. ils délogèrent les Yomoudes de Kizil-Arvat, ils s’emparèrent de l’Akhal après en avoir expulsé les Kourdes et les Aliélis, et se déclarèrent tributaires du khan de Khiva, auquel ils payaient une contribution d’un chameau par village et fournissaient des otages, tout en reconnaissant la suprématie de la Perse sous Nadir-Chah, ce qui