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prince jouit d’une grande influence jusqu’en 1880. Il mourut à l’âge de cinquante ans ; son fils Makhtoum-Kouli-Khan lui succéda, mais il n’avait pas les éminentes qualités de son père.

Comme chez tous les Turcomans, nous retrouvons parmi les Tekkés les tchomrys, sédentaires et les tcharvas, nomades; les troupeaux forment l’unique richesse de ces derniers; ils élèvent de grands et robustes chameaux, une excellente race de moutons, mais ce sont surtout leurs chevaux qui ont acquis la plus grande réputation même en dehors des frontières de l’Asie centrale. Déjà du temps d’Alexandre le Grand, les chevaux de la Sogdiane étaient célèbres. Marco Polo, parlant des excellens chevaux de l’Asie centrale, que la légende faisait descendre de Bucéphale, dit qu’ils avaient les sabots si durs qu’on ne les ferrait pas. Si le cheval tekké descend directement de cette race, son, sang a été fréquemment renouvelé ; ainsi Timour, voulant l’améliorer, distribua 5,000 jumens arabes aux Turcomans, et dans notre siècle Nasr-Eddin leur en donna 600. Néanmoins, le cheval tekké actuel n’offre pas les signes caractéristiques de la race arabe ; il ressemble plutôt au pur sang anglais : grand, sec, à membres grêles, au poitrail étroit, il a le cou long et mince, le garrot extrêmement relevé, la tête souvent lourde, l’arrière-main comparativement peu développée. Il manque à ce cheval le signe distinctif de l’arabe: l’attache de la queue haute. Le cheval tekké a la croupe souvent tombante et, par suite, un vilain port de queue, la tête busquée, ou au moins droite, presque toujours lourde et disproportionnée ; l’œil en revanche est remarquablement grand.

Les Tekkés n’ont pas de haras, le cheval est élevé dans l’aoul, et les jumens seules suivent aux pâturages les troupeaux des tcharras ; on les monte peu, elles ne servent à transporter le cavalier qu’à de petites distances. Élevé au milieu des habitations, l’étalon, doux pour le cavalier, est d’une intelligence rare.

Un proverbe turcoman dit : « Pour faire un cheval du poulain, le propriétaire se fait chien (se sacrifie). » Mais ce n’est là qu’un dicton de paresseux, car l’étrille et la brosse sont inconnues ; le pansage se réduit à sa plus simple expression. Armé de son couteau, le Turcoman gratte le cheval, toujours dans le sens du poil, et se contente ensuite de le lisser soit avec la manche de son khalat[1] ou avec un morceau de feutre. Le poulain reste couvert nuit et jour de pièces de feutre dont le nombre augmente avec son âge. Deux ou trois feutres en forme de chabraque couvrent le garrot des chevaux

  1. Long vêtement en forme de robe de chambre, sans poches, à manches longues et étroites sur le poignet, porté par tous les habitans de l’Asie centrale.