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de beaucoup supérieur à celui des hommes, et le prix en a notablement diminué. Les femmes tekkées n’épousent que des Tekkés ; au contraire, si les alamanetchiks ramenaient de belles Iraniennes, il leur arrivait de les garder sous leurs tentes, soit comme esclaves, soit comme épouses. La femme tekkée est laborieuse ; en dehors des travaux domestiques, c’est elle qui tisse et confectionne les vêtemens. La femme qui se marie apporte en dot un certain nombre de feutres qu’elle a fabriqués dans ses loisirs, parmi lesquels doit figurer une couverture très fine pour le cheval de son époux. Un de leurs proverbes dit : « Plus le feutre pour le coursier est fin, plus l’amour pour le cavalier est grand. » Le divorce se pratique sans grandes formalités et sans jugement, mais l’infidélité de la femme donne au mari le droit de la tuer. Voici un autre dicton turcoman qui a force de loi : « La honte est pire que la mort. »

Les femmes tekkées, n’étant ni enfermées dans un harem, ni entièrement voilées, jouissent presque des mêmes droits que les hommes, avec lesquels elles s’entretiennent aussi librement que chez nous. Les aventures romanesques, les drames même ne manquent pas dans l’Akhal, témoin le fait suivant. Koul-Batter-Serdar avait une fille dont la beauté était célèbre dans l’oasis entière. Svelte, gracieuse, la nature l’avait douée d’une chevelure superbe et d’un regard si doux, que plus d’un jeune Tekké, plus d’un barbon même en avait été cruellement blessé. Tous ces adorateurs perdaient leur peine, la belle aimait depuis longtemps. Un rival de l’homme préféré médita leur perte. Il se porta à la rencontre de Koul-Batter, qui revenait d’un alamane, pour lui insinuer que sa fille, pendant son absence, avait été déshonorée. La fille du serdar reçut son père à l’entrée de sa demeure. Koul-Batter, persuadé de sa honte, eut à peine mis pied à terre qu’il tira son poignard et le plongea dans le sein de son enfant. Les aksakals ayant réussi à prouver l’innocence de la victime, l’instigateur du crime dut comparaître devant l’assemblée des anciens, qui le condamna à mort pour calomnie. L’exécution eut lieu séance tenante : chacun des assistans perça l’infâme de son couteau.

Les récits des aventures chevaleresques forment la base de la conversation des Turcomans, comme le tabac et le thé, celle de leurs dépenses ; s’ils sont très bavards entre eux, ils sont circonspects vis-à-vis de l’étranger, qui a beaucoup de peine à obtenir des renseignemens sur leurs mœurs. A l’exception des mollahs, les Tekkés sont illettrés, mais très rusés dans la réplique et, quoique le mensonge leur répugne, ils savent donner des réponses si ambiguës qu’on fait bien de se méfier. C’est vraiment au Turcoman que « la parole a été donnée pour cacher ses pensées. » Cependant ces enfans du désert possèdent une belle qualité qui a même frappé les