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une grande foule avait eu le temps de se rassembler autour de notre groupe, et ce n’est que quand on apporta de la nourriture et des vêtemens à ces malheureux qu’ils commencèrent à comprendre que leurs misères touchaient à leur fin. J’avais parmi mes bagages du linge et des vêtemens chauds que je remis à un des prisonniers; celui-ci, chemin faisant, me montra son cou, qui n’était plus qu’une plaie, vestige terrible du carcan de fer qu’il avait porté si longtemps. Ces gens-là ne savent pas remercier; mais je fus assez récompensé en voyant une pauvre fille de sept à huit ans se rouler dans un vieux plaid et dévorer les restes de notre repas. Dès ce moment, intelligens comme le sont les Persans, ils furent convaincus que pour eux tout avait changé ; le lendemain, je les trouvais déjà dispersés çà et là, racontant leurs tribulations passées et entourés de curieux qui, avant de s’éloigner, ne manquaient pas de leur laisser quelques petits cadeaux.

L’oasis de Merv, à cheval sur le Mourgab, se trouve au sud-est du désert turcoman à 130 verstes à l’orient de Sarakhs, à 250 verstes de Hérat, à 400 verstes de Khiva et à 180 verstes de Tchardjoui; le Mourgab, qui en alimente les vingt-quatre canaux, grâce à un barrage soigneusement entretenu, est un fleuve qui prend sa source dans les monts du Paropamise, au nord de Hérat, et va se perdre dans les sables au-delà de Merv. Cette oasis compterait, selon Piétrousévitch, 48,000 kibitkas, soit 240,000 habitans, mais quelques autres, trouvant ce chiffre trop élevé, n’en admettent que 125,000; selon ces derniers, l’eau du Mourgab ne pourrait en alimenter un plus grand nombre. L’oasis s’étend jusqu’à 40 verstes au nord du chef-lieu, mais à 10 verstes on trouve déjà des collines de sables mouvans; Grodékof en estime la superficie à 3,600 verstes carrées. Le climat est malsain. Les marais du Mourgab engendrent des fièvres pernicieuses, il y pleut rarement; la température, très élevée en été (36 degrés à l’ombre), descend en hiver à 7 degrés au-dessous de zéro; la neige n’est pas rare au mois de janvier ; en revanche, pendant l’été, les insectes de toute sorte rendent le séjour de Merv insupportable aux Européens.

A mesure qu’on pénètre dans l’intérieur de l’oasis, les aouls deviennent plus nombreux et les kibitkas font place par-ci, par-là, à des masures en terre glaise. La terre est bien cultivée, les canaux sont très nombreux, et les chemins, ou plutôt les sentiers qui relient les villages entre eux, traversent des champs de pastèques, de melons, d’orge et de riz. D’après la dernière statistique, on compte dans l’oasis 7,800 chameaux, 160,000 moutons, 11,500 chevaux, 25,000 ânes et 46,000 bêtes à cornes; le gibier est abondant.

Kaouchout-Khan-Kala, forteresse entourée d’une muraille de 4 verstes de tour, dans l’intérieur de laquelle se trouvent quelques