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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/426

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et par expérience, je puis dire qu’on en parle beaucoup plus sous la tente de feutre du nomade que dans les salons officiels des colonies russes au Turkestan.

Par l’annexion de Merv et la délimitation de sa frontière méridionale, la Russie n’a voulu que soumettre les dernières tribus pillardes des Turcomans, car, tant qu’elles ne seront pas sous sa domination, l’ordre et la tranquillité ne régneront jamais dans la Transcaspie. Dans sa politique asiatique, la Russie, comme tous les pays de l’Europe, cherche de nouveaux débouchés aux produits de son industrie nationale. Pour cela, avec ses immenses possessions dans l’ancien monde, la Russie n’a pas besoin de colonies au-delà des mers ; mais, pour en tirer quelque profit, il est indispensable d’y établir la sécurité en soumettant les brigands turcomans, et d’avancer ses frontières jusqu’aux confins d’états civilisés capables de faire respecter l’ordre chez eux, pour que les caravanes puissent circuler librement. Ce but atteint, il lui faudra créer des routes pour relier ces lointaines provinces entres elles et avec les grands centres commerciaux de l’empire : la voie de l’Oust-ourt ouverte, l’Oxus et le Sir sillonnés par une flottille, Tachkent, dans l’avenir, peut être relié au chemin de fer sibérien, et Sarakhs à la ligne transcaspienne, c’est l’Asie centrale entrant dans une nouvelle ère de relations avec la Chine, par Kachgar, et avec la Perse, par la riche province du Khorassan, qui, depuis la soumission des Turcomans, redeviendra un pays producteur, grâce à la fertilité de son sol et à l’activité de ses habitans.

Depuis que la Russie s’est séparée de l’Europe par ses tarifs douaniers et qu’elle s’est imposé des sacrifices énormes pour développer son industrie nationale, l’Asie devient pour elle d’une importance capitale, puisque c’est l’unique débouché où elle soit à l’abri de la concurrence directe des autres pays. La création d’une foire périodique au mois de mai à Bakou, comme celle de Nijni-Novgorod, où les marchands de l’Asie centrale et du nord de la Perse, amenés par le chemin de fer transcaspien et les vapeurs de la Caspienne, viendront échanger leurs marchandises contre les produits de l’Occident, couronnera dignement l’œuvre civilisatrice de la Russie dans ces contrées. Mais pour que ce projet se réalise, les tribus nomades de l’Asie centrale, jusqu’au Paropamise et jusqu’à l’Hindoukouch, devront reconnaître la suzeraineté de la Russie et non celle de l’Afghanistan, puisque l’expérience a démontré que ce dernier pays n’est pas en état de maintenir l’ordre et la sécurité sur ses frontières.


H. MOSER.