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que nous avions cru entrevoir recule devant nous ; la foi dans cette terre vainement promise faiblit dans nos âmes, et avec elle vacille et diminue la foi dans la liberté qui nous y devait conduire. D’où viennent ces mécomptes que nos pères semblent nous avoir légués en même temps que leurs espérances ? Quelle en est la nature et quelle en est la portée ? Faut-il y voir la condamnation du libéralisme ? Tel est le vaste et douloureux problème que nous osons aborder ici et que nous voulons essayer de sonder sans pessimisme comme sans illusion.


I.

Et d’abord qu’entendons-nous par libéralisme, car, peu de mots, il faut l’avouer, ont plus souvent varié de sens suivant les pays ou les époques ? Notre intention n’est nullement de faire la genèse ou l’histoire ni même la philosophie du libéralisme. Nous ne comptons ni exposer des théories, ni citer des textes ou des noms, ni encore moins suivre les évolutions d’un parti en France ou au dehors. Nous ne voulons parler ici d’aucune école, d’aucun groupe en particulier, mais bien du libéralisme en général, du libéralisme moderne au sens le plus étendu du mot, du libéralisme français et continental surtout.

Quel en est le caractère essentiel, le trait distinctif ? C’est avant tout, nous semble-t-il, la prétention de résoudre toutes les questions d’une manière rationnelle, à l’aide de principes abstraits, conformément à la logique et aux aspirations de la nature humaine, aspirations revêtues du nom de droits du citoyen, ou de droits du peuple. Tel est resté, à travers toutes nos révolutions et sous les formes politiques les plus diverses, le but plus ou moins avoué et plus ou moins conscient de tous les grands apôtres du libéralisme, de Benjamin Constant, par exemple, à M. Laboulaye ou à M. Jules Simon. Tel est à notre sens le caractère fondamental du libéralisme moderne, du libéralisme français notamment : issu de la révolution, il en a gardé la marque. Comme la révolution, bien qu’avec plus de mesure, il est au fond demeuré rationnel, spéculatif, idéaliste, optimiste même ; c’est ce qui a fait sa force d’expansion dans le monde.

À l’état, vivant sur la tradition et la coutume, le libéralisme moderne a prétendu, lui aussi, substituer peu à peu un état fondé sur la raison et la nature. Aux privilèges historiques, aux prérogatives acquises ou héréditaires, aux droits particuliers et personnels du prince, des classes, des communautés, des localités, il a fait succéder les droits généraux, les droits naturels des gouvernés, considérés tantôt