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La sécularisation ou mieux la laïcisation, telle que la comprennent ou la pratiquent certains partis, ne tend à rien moins qu’à étouffer sourdement la religion en l’enfermant dans un cercle de plus en plus étroit, en lui interdisant tout mouvement, en lui retranchant les alimens qui la sustentent, en bouchant toutes les ouvertures par où elle peut respirer. Laïcisation finit par devenir synonyme de déchristianisation. Aux anciennes religions d’état menace de succéder l’irréligion d’état. Sans aller jusqu’à de pareilles extrémités et tout en les réprouvant avec une sincère indignation, le libéralisme, emporté par l’ardeur de la lutte contre les résistances du passé, en vient parfois, pour briser ces résistances, à s’en prendre à leur principe, aux clergés, aux églises, à l’esprit religieux même, au risque d’aller à l’encontre de ses maximes les plus chères. On en arrive à se montrer intolérant au nom de la tolérance. On voit des libéraux mettre de côté la liberté pour la mieux sauver, et ce qu’on s’est permis aux heures de péril, dans l’inévitable entraînement de la bataille, on le maintient ensuite dans un intérêt de parti et de domination.

Ces inconséquences du libéralisme sont d’autant plus fréquentes et d’autant plus graves, qu’il cède en ce point aux excitations de la démocratie. C’est là, en effet, une des sphères où la démocratie européenne agit sur les libertés modernes comme une force perturbatrice, où elle tend à mettre la puissance publique au service de ses instincts ou de ses passions. Se trouvant en guerre plus ou moins ouverte avec l’église et la religion, elle est peu disposée à laisser l’état se confiner vis-à-vis de l’église dans la neutralité ; aussi l’église et le christianisme sont-ils, en réalité, plus attaqués comme adversaires de la démocratie que comme ennemis de la liberté. Le fait mérite d’être noté d’autant que profondes et durables sont les causes de ce conflit. Il ne tient pas uniquement à l’espèce de duel engagé entre le néo-ultramontanisme et la révolution qui, dans leurs outrances en sens contraire, sont comme la contre-partie l’un de l’autre, tant, avec leurs thèses également excessives et absolues, ils se correspondent et se reproduisent presque dans leurs divergences, chacun offrant en quelque sorte l’image renversée de l’autre et tous deux semblant se réfléchir en se déformant. Entre la démocratie et le christianisme, il y a une mutuelle défiance, une antipathie réciproque fondée sur des aspirations inverses, sur une manière opposée de concevoir la vie humaine. Non-seulement l’église et la religion ont aux yeux des démocraties le tort de personnifier le principe d’autorité, mais en enseignant aux peuples que le but de leur existence n’est pas sur cette terre, le christianisme a pour l’extrême démocratie le défaut de leur apprendre à supporter les souffrances et les iniquités de ce monde, et par là même