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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/449

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sécularisation ou, comme l’on dit chez nous, à la laïcisation de l’état et de la société.

Par malheur, si, en théorie, il est facile à l’état de se désintéresser des affaires religieuses, les faits ont prouvé que cela ne l’était pas autant dans la pratique. L’état laïque, l’état neutre ou, comme disent ses adversaires, l’état athée, provoque d’abord l’opposition de tous ceux qui prétendent que la religion doit continuer à inspirer les gouvernemens. Mais, contrairement à toutes les prévisions, ce n’est pas là le seul obstacle à l’accomplissement des rêves de pacification religieuse. Heureux les pays où le nouveau dogme de l’incompétence de l’état en matière de foi ne rencontre pas d’autres résistances que le zèle des croyans et les prétentions des divers clergés ! En maintes contrées, il a fallu compter avec une intolérance d’un nouvelle sorte, avec le fanatisme inattendu des incrédules, qui, sous le couvert de la libre pensée, poursuivent la destruction de toute religion. A ceux-là l’incompétence et la neutralité de l’état ne suffisent point. L’autorité publique, dont les religions ont si longtemps usé à leur profit, ils l’exploiteraient volontiers à leur tour contre les doctrines religieuses ; s’ils n’osent le faire ouvertement, ils le tentent par des voies détournées, employant les influences gouvernementales à la ruine ou à l’affaiblissement des cultes qu’ils ont en aversion, retournant hypocritement le mot de liberté contre la première de toutes les libertés : celle de la conscience.

L’état, ainsi poussé en sens contraire par les partisans et les adversaires de la religion, éprouve une difficulté croissante à demeurer enfermé dans ce désintéressement théorique, dans cette sereine neutralité du haut de laquelle il devait planer au-dessus de toutes les querelles théologiques. A la séparation, presque partout effectuée, de la vie religieuse et de la vie civile, on prétend en vain substituer l’entière séparation de l’église et de l’état. La séparation ne supprimerait pas tout contact, elle ne trancherait pas toutes les difficultés. Alors même qu’entre l’état et les différens cultes il n’y aurait plus de rapports officiels, l’état ne saurait ignorer la religion, ignorer la constitution et le fonctionnement des divers églises, le recrutement de leur clergé, les assemblées des fidèles, la police de leurs temples, l’origine, l’emploi, la transmission de leurs biens, — autant de matières délicates sur lesquelles il ne peut toujours s’interdire d’édicter des lois ou des règlemens. Aussi, pour ceux qui la réclament avec le plus d’insistance, la séparation absolue de l’état et des églises n’est qu’un moyen détourné d’enlever à ces dernières toute existence légale, de les priver de leurs organes essentiels, de les frustrer de leurs ressources matérielles, de leur rendre, en un mot, la vie impossible.