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Vous n’avez compris, nous dira-t-on, ni la pièce, ni la musique ; vous l’avouez vous-même, certains détails vous avaient échappé. C’est vrai; mais depuis la représentation nous avons acheté le livret, nous avons médité les brochures qui doivent servir de « guide à travers la partition. » Les œuvres de cette difficulté ne se livrent pas tout de suite, ni toutes seules : il leur faut un commentaire, une glose. Nous avons tout subi : notices, pièces explicatives et justificatives. Mais il y a des choses qui ne s’expliquent ni ne se justifient. Nos études ultérieures n’ont fait que confirmer notre premier sentiment. Nous savons maintenant les raisons de notre opinion.

Nous n’avions saisi de l’œuvre que le dehors et la forme concrète ; l’essence, l’âme nous avait échappé. Il s’agit bien des amours de Walther et d’Éva ! Wagner n’est pas homme à se contenter d’un anthropomorphisme aussi grossier. Traiter des passions humaines ! Faire des personnages humains, fût-ce des bottiers ! Mettre en musique autre chose que l’idée pure ! Il lui faut l’abstraction, le symbole, la philosophie. Sachez qu’il a trouvé le germe de sa comédie musicale dans un opuscule du xvii intitulé : De sacri Romani imperii libéra civitate Noribergensi Commentatio. Accedit de Germaniæ phonascorum (Meistersinger) origine, præstantia, utililate et institutis, sermone vernaculo Liber. Altdorfii Noricorum, typis impensisque Jodoci Wilhelmi Kohlesii (1697). Apparemment personne en Allemagne n’ignore ce petit livre : il doit être plein de sujets d’opéras comiques.

Ainsi les Maîtres-Chanteurs ne sont pas seulement la pièce assez pauvre que nous avions cru comprendre, et que nous avons racontée, une médiocre apologie de la cordonnerie, l’exégèse de la chaussure. Il paraît qu’ils symbolisent le triomphe de l’inspiration sur la formule, du génie sur la routine. Ils visent à l’allégorie, même à l’autobiographie. Il se pourrait que Walther représentât Wagner lui-même, le génie longtemps méconnu, mais enfin triomphant. La défaite de l’obscurantisme, voilà le sujet de l’opéra : à peu près celui d’Excelsior, le ballet italien, mais plus dissimulé.

Une fois engagé dans cette voie, on ne s’arrête plus, et les admirateurs de Wagner expliquent à fond l’œuvre du maître : « Les Maîtres-Chanteurs, disent-ils, sont, de toutes les conceptions de Wagner, sinon la plus grandiose par ses proportions, la plus universellement humaine par sa simplicité, la plus profonde par son symbolisme, du moins la plus large, la plus compréhensive par la variété des sentimens et des passions, certainement la plus féconde par la portée de son influence directe… Par les Maîtres-Chanteurs, Wagner a sur son siècle une prise immédiate : dans cette galerie de portraits si individuels, dans cet assemblage de caractères si contrastés, si vivans, les artistes de la génération nouvelle, qui se sentent l’étoffe de poètes-musiciens, trou-