Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fait connaissance avec M. Persil, alors avocat, qui avait plaidé pour lui, au sujet du milliard de l’indemnité, un procès important qu’il avait gagné contre un de ses collègues à la chambre des pairs, dont M. Dupin défendait les intérêts. M. Persil lui avait indiqué comme répétiteur un M. Jourdain, qu’il a depuis placé dans la magistrature. C’est de M. Jourdain que j’ai appris le peu de droit que j’aie jamais su et que j’ai depuis si complètement oublié. Etourdi et turbulent, je l’étais encore, mais paresseux je ne l’étais plus, et quand la fantaisie m’en prenait, j’étais devenu capable, comme je le suis encore, de faire, à l’occasion, des débauches de travail. Mon père, doué d’un grand sens et du tour d’esprit le plus aimable, si parfaitement modeste et consciencieux, sentait profondément ce qui avait manqué sous l’ancien régime à sa première éducation, interrompue d’ailleurs par la révolution. « Je serais désolé, avait-il coutume de me dire avec une gracieuse exagération, si tu étais destiné à ne demeurer, comme moi, qu’un gentilhomme « fesse-lièvre. » Ah ! si vieillesse pouvait et si jeunesse savait ! .. Tu dois me succédera la chambre des pairs, il faut t’y préparer… » Je n’étais pas insensible à ces exhortations. J’avais mordu de très bonne heure à la politique, ou plutôt, elle m’a de très bonne heure mordu, et je ne me sens pas encore tout à fait guéri de cette morsure. L’hérédité de la pairie avait fait des fils aînés de pairs de France de petits personnages. Ils jouissaient d’une sorte de privilège dont mon père, qui regrettait beaucoup que les séances de la chambre haute ne fussent pas publiques, avait tenu à me faire profiter. Ils pouvaient assister aux séances de la chambre des députés dans la tribune réservée aux pairs de France. C’est ainsi que j’ai pu suivre toutes les séances un peu importantes de la session de 1827-1828. J’ai entendu, assez froid en apparence, mais au fond haletant de curiosité et d’émotion, les discours de MM. Royer-Collard, Martignac, Casimir Perier, Benjamin Constant, etc. Mon cœur était avec l’opposition royaliste du centre droit, celle dont M. Hyde de Neuville était l’organe habituel au corps législatif et que M. de Chateaubriand représentait alors avec tant d’éclat à la chambre des pairs. Rien n’égalait mon enthousiasme pour l’auteur du Génie du christianisme et des Martyrs, pour l’écrivain de la Monarchie suivant la charte, pour l’orateur qui avait combattu la loi du sacrilège et défendu la liberté de la presse, pour l’inspirateur des Débats, dont les articles véhémens étaient alors souvent confondus dans ce journal avec ceux de M. de Salvandy. Qu’on juge donc de ma joie quand, après la formation du cabinet de M. de Martignac, mon père m’apprit que M. de Chateaubriand lui avait promis de me désigner au choix de M. le comte de La Ferronnays, alors ministre des affaires