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ciseaux à ouvrage. Ils n’avaient fait qu’une blessure peu profonde dont la trace lui était restée. Elle me fit même l’honneur, comme la margrave de Bayreuth à Voltaire, de me montrer cette cicatrice, qui n’avait rien de déplaisant. Toutes nos relations étaient sur le pied de la plaisanterie. Un jour de carnaval n’ai-je pas inventé, en mettant des serviettes comme tampons sous les pieds d’un petit cheval que je possédais, de monter les deux étages de l’escalier monumental de son palais et d’arriver déguisé jusque dans son vestibule ! Mais elle me reconnut tout de suite : « Il n’y a que M. d’Haussonville pour faire de pareilles folies. »

Plus tard, quand j’ai eu l’honneur de la retrouver à Rome en 1835, et plus tard encore en 1840, elle m’a battu un peu froid. Peut-être n’y avait-il plus de confidences curieuses à me faire, ou bien étaient-elles devenues trop sérieuses. C’est en effet, à cette époque, ou peu s’en faut, si je ne me trompe, qu’elle a épousé le baron de S.., avec lequel elle a toujours vécu en parfaite intelligence.

Un vrai salon, ouvert à plus de monde, quoique assez restreint encore, et que je fréquentais assidûment, était celui de la duchesse de Saint-Leu, autrement dit, la reine Hortense. Mon père lui était connu et l’avait fréquentée à la cour impériale en sa qualité de chambellan de Napoléon Ier. Il crut de bon goût de me présenter à elle, quoique attaché à l’ambassade de Charles X. Il consulta à ce sujet M. de Chateaubriand : « Nul obstacle de ma part, répondit M. de Chateaubriand, et je voudrais bien pouvoir aller moi-même chez la duchesse de Saint-Leu. Menez-y M. votre fils ; j’ai dit à M. de M… (l’un de nos attachés) que, pour lui, c’était un devoir. » Par le fait, je ne me souviens pas d’y avoir jamais rencontré ce mien collègue. Pour moi, je devins assez vite un hôte habituel de ce petit cercle, tout français, infiniment plus gai que celui de l’ambassade.

On disait bien que, dans l’intimité, quand il n’y avait chez elle que des personnes dévouées à sa cause, la duchesse de Saint-Leu redevenait la reine de Hollande et que l’étiquette de cour y était scrupuleusement observée. Je n’en ai jamais vu la moindre trace. Elle affectait plutôt avec mon père et avec tous les Français attachés à la dynastie des Bourbons de se donner simplement pour une Beauharnais, c’est-à-dire pour la fille d’un gentilhomme français de bonne race. Son salon était fréquenté d’ordinaire par les élèves de la villa Médicis ; un peintre, M. Cottereau, assez joli homme, y tenait, si j’ai bonne mémoire, une sorte de place privilégiée. Il avait une assez belle voix ; on faisait de la musique, ou l’on dansait au piano, presque tous les soirs. Elle-même faisait sa partie dans les duos et dans les chœurs. Elle se mêlait aux quadrilles quand on l’en pressait