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un peu, et n’avait pas mauvaise grâce, car sa taille était restée agréable et souple comme celle d’une créole. Peu de jours après que je lui avais été présenté, elle dit à mon père : « Le voilà bien grand ; quand je pense que je l’ai pourtant tenu sur mes genoux ! Il faut que je valse avec lui, ce sera trop drôle. » Et voilà comment il m’est arrivé de valser avec la reine Hortense, juste un an, ou à peu près, avant qu’il m’ait été donné, comme je le raconterai bientôt, d’être officiellement invité à danser avec Madame la duchesse de Berry. Ne sont-ce pas de véritables succès de cour, un peu antédiluviens, il est vrai, mais propres à me placer haut dans l’esprit de mes petits-enfans ?

On voyait peu le prince Louis-Napoléon chez sa mère. Le préféré de la reine Hortense était son fils aîné, qui résidait alors auprès du roi Louis. Mon père m’avait recommandé de ne pas me lier intimement avec ce jeune homme, qui vivait déjà un peu solitaire dans la compagnie de quelques complaisans ; je ne m’y sentais d’ailleurs nullement porté. Nous nous sommes cependant promenés plus d’une fois ensemble au Pincio, tandis que, derrière nous, mon père donnait le bras à la duchesse de Saint-Leu. « Vous êtes bien heureux, lui dit-elle un jour tristement, en nous désignant tous les deux ; votre fils a une carrière devant lui. Ah ! si je pouvais seulement demander au roi Charles X, et s’il dépendait de lui de m’accorder pour mon fils une place de sous-lieutenant dans un régiment français ! » D’autres fois, nous parcourions à cheval, le prince Louis et moi, la campagne de Rome, car sa mère lui avait recommandé de me rechercher et de me faire politesse. Nous montions des petits chevaux romains, entiers, comme c’est l’usage dans le pays. Ils s’étaient pris en déplaisance, et passaient leur temps à se vouloir mordre et à se jeter l’un sur l’autre. Nous avions quelque peine à les en empêcher.

La société tout à fait intime de la reine Hortense et du prince Louis, celle à laquelle nous n’étions pas admis, était bien, il faut l’avouer, un peu mélangée. Il s’y était glissé pas mal de gens cherchant fortune. J’y ai entrevu le colonel*** (d’où était-il colonel ? ) qui passait pour avoir fait la guerre en Grèce, et dont l’occupation pour le quart d’heure paraissait être de faire la cour à la lectrice de la reine Hortense. Une fois, à l’écarté, je ne sais où, mais pas chez la reine Hortense, il avait gagné en une seule soirée une dizaine de mille francs à l’un de mes amis, M. de ***, qui se trouvait alors dans la capitale du monde chrétien en simple voyageur. Dix mille francs ! c’était difficile à trouver sur l’heure, plus difficile pour mon jeune ami, qui n’était pas fort riche, et vivait assez largement sur l’espoir de la succession d’un vieil oncle dont l’héritage était peut-être déjà