Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/503

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministre, voire même de président du conseil, avait été le paiement préalable de ses dettes. Elles n’avaient pas été plus tôt payées, qu’il en avait contracté d’autres ; c’était l’habitude chez lui. A quoi passait tout cet argent ? Cela serait difficile à dire, car, en somme, ses goûts étaient assez simples. Ni le petit monument élevé dans Saint-Pierre à la mémoire de Poussin, ni le bas-relief en marbre représentant Cymodocée et les martyrs livrés aux bêtes du Colisée, et qui fut d’ailleurs, si je ne me trompe, payé des deniers de Mme Récamier, n’ont pu faire de larges brèches à sa bourse. Ses équipages étaient loin d’être magnifiques. Il préférait se promener à pied, et s’il ne faisait pas le tour des murailles de la ville éternelle en un jour, comme il s’en est vanté, et ce qui aurait été difficile pour un pedestrian mieux exercé que lui, il marchait volontiers et longuement dans la campagne de Rome, le plus souvent du côté de Saint-Paul hors les murs, ou le long du Tibre, quelquefois avec un fusil sous le bras et un carnier sur les épaules en compagnie du fidèle Pilorge. C’était ce qu’il appelait aller à la chasse, A-t-il jamais rien rapporté dans ce carnier ? Oui ; je l’ai vu une fois sortir un merle tué à bout portant sur un buisson. Il en était tout fier et très joyeux. A défaut de merle, il s’amusait à tirer poétiquement au passage sur les vagues du Tibre.

Une course à laquelle il prenait un véritable intérêt, c’était celle qu’il ne manquait pas de faire plusieurs fois par semaine, quand le temps était beau, aux fouilles que, sur les indications de M. Visconti, il avait entreprises du côté de Torre Vagata, sur la route de Rome a Florence, non loin de ce qu’on appelait à tort « le tombeau de Néron. » — « J’ai jeté au hasard, a-t-il écrit, quelques billets de 1,000 francs dans la campagne de Rome avec l’espoir d’y découvrir des chefs-d’œuvre. » Je doute que la dépense ait été aussi grande, mais certainement, M. de Chateaubriand n’en a pas eu pour son argent. Un jour, il me fit l’honneur de m’emmener en voiture avec lui et voici ce dont j’ai été témoin.

M. Visconti lui avait écrit que les ouvriers étaient tout près d’arriver au sol antique et que c’était le moment où il y avait le plus de chances de mettre la main sur quelques-uns de ces chefs-d’œuvre toujours promis et, jusque-là, toujours vainement attendus. Quand nous arrivâmes, nous fûmes accueillis par M. Visconti plus satisfait et plus triomphant que jamais. De chefs-d’œuvre, on n’en avait pas encore mis au jour, mais on venait de rencontrer, couché sous de grandes tuiles qui le recouvraient dans toute sa longueur, le squelette d’un Gaulois. Impossible d’en douter, expliquait M. Visconti, car il portait les insignes de sa race, c’est-à-dire un collier de bronze au col, et, à l’index, un anneau du même métal. Ces objets furent