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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/504

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remis par lui à M. de Chateaubriand. Il était tout ému. Je l’entends encore d’ici s’écrier : « Bizarre coïncidence ! étranges jeux de la destinée ! Un Gaulois tombe frappé dans les plaines de cette Rome qu’il venait de saccager, et c’est moi, l’ambassadeur de France, qui viens pieusement recueillir ici les os de nos ancêtres ! Mais regardez donc, monsieur d’Haussonville ! C’étaient des géans que nos aïeux ; ils avaient au moins sept pieds, nous sommes des pygmées en comparaison, nous ne leur irions pas au genou. Quelles gens ! et combien nous sommes dégénérés ! » Ce que disant il m’avait passé le collier de bronze et la bague. Tout en l’écoutant avec l’admiration qui lui était due, je m’étais mis à manipuler le collier, et comme il arrive toujours en pareil cas, à vouloir passer mon doigt dans l’anneau. Impossible de l’y faire entrer. « Ah ! monsieur l’ambassadeur, regardez à votre tour ; je ne suis pas un géant, je n’ai pas sept pieds, mais l’anneau est trop étroit pour moi, je ne peux pas y faire entrer mon doigt. — Méchant garçon que vous êtes ! répliqua M. de Chateaubriand, en me frappant amicalement sur l’épaule, je ne vous amènerai plus ici avec moi, vous avez gâté toute ma tirade. »


III

La mort du pape Léon XII, le conclave qui s’ensuivit et l’élection du pape Pie VIII jetèrent un peu d’animation dans le palais Simonetti et donnèrent un surcroît d’intérêt aux dépêches de notre ambassadeur. Mais, pendant ce temps-là, je n’étais plus à Rome. Nous étions partis, mon père et moi, pour aller faire une excursion à Naples et en Sicile. En homme consciencieux, mon père avait écrit à mon ambassadeur pour s’informer s’il réclamait la présence de son attaché. M. de Chateaubriand eut la bonté de convenir qu’à toute force il s’en pouvait passer, et qu’il n’avait pas absolument besoin de moi pour faire un pape. J’ai encore cette réponse à mon père, écrite d’une grosse écriture sur un tout petit papier : « Vous allez, disait-il, visiter des ruines en Sicile, monsieur le comte ; il y en a ici, il y en a partout, etc. »

De cette excursion en Sicile, à une époque où il n’y avait encore aucune espèce de chemin, alors qu’il fallait voyager en litière ou à cheval en suivant les bords du rivage de la mer, ou bien en cherchant avec soin, sans y pouvoir réussir, des sentiers le plus souvent cachés sous les herbes sauvages qui les recouvraient, je ne dirai rien. Ce ne sont pas mes mémoires que j’écris, mais plutôt ceux des autres, j’entends des personnes dont le souvenir m’est resté, parce qu’elles en valaient la peine, pu des événemens un peu