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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/566

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Ainsi en est-il du sage stoïcien, de la république de Platon, de toutes ces formes idéales qui nous servent de modèles quand nous voulons juger les choses, mais qui n’ont aucun type dans la réalité. Je sais, dit l’auteur, que Descartes a fait une distinction entre les créations de notre imagination et les conceptions rationnelles nécessaires dont le propre est d’impliquer l’existence de leurs objets. Mais il ne semble pas que la notion de parfait rentre dans cette catégorie. C’est une simple généralisation des notions diverses de types déterminés, à laquelle il n’est nullement nécessaire d’attribuer l’existence objective. Autre chose est la perfection relative, autre chose la perfection absolue, la perfection en soi : autant l’une est claire, autant l’autre est obscure. Ce que nous appelons perfection relative se rapporte toujours à un type déterminé. On sait ce que c’est que la perfection d’une qualité, d’une vertu, d’une forme ; mais on ne sait ce que c’est que la perfection de l’être en soi. Le règne minéral, le règne végétal, le règne animal ont chacun leur perfection : autant de types divers, autant de perfections différentes, mais la perfection en soi est inintelligible. Pour donner un contenu à cette idée de perfection, on est obligé de prêter à Dieu les attributs de la nature humaine ; et ce qu’on appelle l’être parfait n’est pas autre chose qu’un homme parfait.

Est-ce à dire cependant que la notion de perfection ne soit rien qu’un mot, une abstraction vide, un non-sens ? Nullement : c’est une catégorie importante de l’esprit ; c’est une loi. Si nous n’avions pas en nous l’idée de perfection absolue, comment pourrions-nous comparer les divers degrés de perfection ? De quel droit prononcerions-nous la supériorité d’un type sur l’autre, de la plante sur la pierre, de l’animal sur la plante, de l’homme sur l’animal ? L’esprit ne peut s’arrêter à un type déterminé ; il lui faut toujours monter dans l’échelle des types. Ainsi, l’idée de perfection existe dans l’esprit, mais non au dehors. L’objet du concept d’infini, d’absolu, d’universel existe en acte : c’est le monde réel. L’objet du concept de perfection n’existe pas en acte : c’est un idéal. Ce n’est pas néanmoins un concept vide et inutile. Est-ce que la géométrie est une science vide, parce que c’est une science idéale ? Est-ce que la morale est une science vide, pour être non moins idéale ? La ligne, le cercle, le polygone régulier ne sont que des notions idéales ; et, sur ces notions idéales, on fonde la science la plus solide. Le sage, le juste, le héros, le saint, ne sont aussi que des types idéaux, et ce sont cependant ces types qui sont la loi de la vie pratique.

Il en est de même de l’idée de Dieu. Ce n’est qu’une conception idéale ; mais c’est la plus haute de toutes. Loin d’exclure la théologie, M. Vacherot la mettait fort au-dessus de la métaphysique, par la même raison que la géométrie pure est supérieure à la