Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/570

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sans doute, il continue à écarter la doctrine des deux substances, je veux dire des deux espèces de substances, puisque tout est force, et, par conséquent, toutes les substances sont homogènes ; mais il maintient la distinction des deux vies, des deux natures, par conséquent, l’homo duplex ; et il met en garde la psychologie contemporaine contre les excès de l’école physiologique.

En même temps qu’il maintient le principe spiritualiste en psychologie, il maintient en cosmologie l’explication dynamique et ne voit partout dans l’univers que des forces et des centres de force. Il croit par là être l’interprète fidèle de la science moderne, qu’il prétend ainsi réconcilier avec la métaphysique. Mais peut-être la science ne tient-elle pas autant qu’il le croit à l’idée de force. Beaucoup de savans, au contraire, inclinent à croire que c’est là une notion très obscure et à peu près inutile, qu’il faut laisser à la métaphysique. Que la science actuelle tende, comme au temps de Descartes, à ramener au mouvement la plupart des phénomènes de la nature, cela est vrai ; mais le mouvement suppose non-seulement un principe de mouvement, mais encore un sujet de mouvement, non-seulement quelque chose qui meut, mais quelque chose qui se meut. Or une force est quelque chose qui meut, mais non pas quelque chose qui se meut, et surtout qui est mû. Se représente-t-on une force qui court, une force qui marche, qui vole, qui se transporte d’un endroit à un autre ? La force produit le mouvement, elle ne le subit pas. Il faut donc de deux choses l’une : ou admettre que le mouvement n’est qu’une apparence, une forme de l’imagination, et transformer le dynamisme en idéalisme ; ou admettre dans la matière non-seulement le moteur, mais le mobile et, par conséquent, un élément passif susceptible d’être mû, soit qu’on admette d’ailleurs le dualisme inséparable de la matière et de la force, soit qu’on sépare l’une de l’autre. En outre, l’analogie de la force spirituelle avec les forces matérielles n’est pas non plus sans difficulté : car, si l’on peut admettre sans grande résistance que la matière a de l’analogie avec l’esprit, il faut aussi prévoir la réciproque ; les forces matérielles étant soumises aux lois du choc, de l’élasticité, de l’attraction à distance, de la pesanteur, comment la force âme, si elle est de même espèce, échappera-t-elle à ces lois ? Il faudra donc admettre que nos âmes sont soumises aux lois de la mécanique, qu’elles peuvent s’attirer en raison inverse du carré des distances, que, réunies en faisceau, elles pourront former une masse susceptible de poids ; on pourra être écrasé par des âmes, et, avec un paquet d’âmes, on pourra donner des coups à d’autres âmes, etc.[1].

  1. Kant, qui avait passé par le dynamisme leibnizien, a signalé des difficultés semblables dans son curieux écrit : les Rêves d’un visionnaire.