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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/574

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qui semblait bien être le fond de sa pensée dans son École d’Alexandrie. Sans doute, le progrès reste la loi du monde, le développement extérieur de Dieu ; mais Dieu lui-même, dans son essence et dans son fond, n’est pas un devenir : « Quelque arrêtée, dit-il, que soit ma pensée sur l’immanence, je n’aime pas qu’on vienne nous dire, avec Hegel et M. Renan, que Dieu se fait. Je ne trouve pas cette manière de parler correcte. Je consens bien à ne pas faire du Dieu vivant quelque chose d’immuable dans sa nature abstraite, reléguée au-delà de l’espace et du temps, ce n’est pas une raison pour le soumettre à la catégorie du devenir comme ses œuvres. » Fort bien ! mais il nous semble que, dans ce passage, M. Vacherot ne saisit pas sa propre pensée d’une manière bien ferme et bien cohérente. Car enfin, de deux choses l’une : ou Dieu change, ou il ne change pas ; s’il ne change pas, il est immuable et en dehors de l’espace et du temps : c’est l’abstraction dont vous ne voulez pas ; mais s’il change, comment échapperait-il à la catégorie du devenir, et si la loi du changement est le progrès, il est rigoureusement exact de dire avec M. Renan : Dieu se fait ; avec Diderot : Dieu sera peut-être un jour. En un mot, de deux choses l’une : ou Dieu est ou il se fait. Si vous rejetez la seconde hypothèse, vous êtes inévitablement reporté vers la première. Sans doute, la loi du devenir pourra être la loi du Deus explicitus, de la natura naturata ; mais l’immutabilité, l’unité, et par là même la perfection, seront la loi de la natura naturans, et ce sera seulement cette natura naturans qui sera le véritable Dieu, quel que soit d’ailleurs le lien mystérieux qui l’unisse à sa représentation externe.

Après avoir renoncé à l’idée de devenir divin, M. Vacherot rejette encore cette autre forme du panthéisme, dont il n’était pas très éloigné dans sa seconde phase philosophique, à savoir celle qui confond Dieu avec le monde, et l’unité avec la totalité : « Dieu n’est pas le monde, puisqu’il en est la cause. Il ne s’en distingue pas seulement comme le tout de ses parties… Le tout n’est que l’unité collective… Définir Dieu par le tout, ce n’est pas seulement le panthéisme, c’est tomber dans l’athéisme pur. » De plus notre auteur rejette non-seulement le Dieu-Tout de Diderot, mais encore le Dieu substance de Spinosa ; et, reprenant une distinction de Victor Cousin[1], il soutient que Dieu n’est pas seulement substance, mais qu’il est cause : « Oui, le Créateur est immanent dans son œuvre, mais non pas à la façon du Dieu de Spinoza. Le Dieu vivant est une

  1. Fragmens philosophiques, préface de la 2e édition, 1833. » Le Dieu de Spinoza est une substance et n’est pas une cause. La substance de Spinoza a des Attributs plutôt que des effets. »