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cause qui crée de vraies causes, et non une substance qui se manifeste par des modes dépourvus de toute spontanéité. Ce puissant esprit a vu Dieu, car il a conçu la suprême Unité ; mais cette unité n’est pas vivante. »

Ainsi, par voie d’exclusion, M. Vacherot s’éloigne de plus en plus de la conception naturaliste et panthéistique qui l’avait autrefois séduit, et à laquelle il s’abandonnait sans scrupule quand il croyait pouvoir se réfugier dans les templa serena de l’idéal ou de la pure pensée. Maintenant qu’il reprend cette idée de Dieu pour lui rendre la réalité et la vie, il lui faut donner un contenu à cette idée, et il se refuse à l’absorber dans son œuvre. Que reste-t-il donc pour constituer l’essence divine ? Deux attributs fondamentaux que le théisme sera bien loin de nier, mais qu’il réclame au contraire comme siens, à savoir : la cause créatrice et la cause finale : « Cause première et fin dernière d’un monde où tout est causalité et finalité, voilà les deux seuls attributs humains qu’une psychologie discrète peut ajouter aux attributs métaphysiques de la nature divine sans tomber dans l’anthropomorphisme. »

Considérons donc ces deux attributs. M. Vacherot n’hésite pas à attribuer à Dieu la puissance créatrice. Il l’appelle le Créateur. Sans doute il ne faut pas prendre ce mot à la lettre dans la doctrine de l’Immanence ; il n’est pas question ici d’une création ex nihilo. Mais la philosophie théiste, de son côté, est-elle absolument liée à l’idée d’une création ex nihilo ? cette doctrine en réalité n’est autre chose qu’un mystère chrétien : or, la philosophie spiritualiste n’est pas plus tenue à enseigner ce mystère que les autres, par exemple, l’incarnation et la trinité. Et d’ailleurs est-on bien loin de la création ex nihilo, lorsque l’on dit avec M. Vacherot : « Dieu reste distinct de ses créations, non comme une cause étrangère et extérieure au monde, mais en ce sens qu’il garde toute sa fécondité, toute son activité, tout son être après toutes les œuvres qu’il crée, sans les faire sortir de son sein… Il en reste distinct en demeurant au fond de tout ce qui passe, mais toujours avec la même énergie de création. » Je le demande, une cause inépuisable, qui conserve toujours la même énergie de création, qui par conséquent ne perd rien on produisant tout, qui d’ailleurs n’est pas sujette au devenir, une telle cause ne crée-t-elle pas en effet les choses de rien ? Je trouve même que M. Vacherot fait trop bien les choses en déclarant que Dieu ne crée pas les êtres en les tirant de son propre sein. Car, à parler humainement, et en laissant les mystères à la théologie, il est difficile de concevoir l’Être suprême faisant sortir les êtres du néant, sans puiser à la source même de l’être qui est lui-même ; et, pour le distinguer de ses créatures, il