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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/613

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les tréteaux du siècle ; libertin et sacrilège de parti-pris, ennuyeux surtout et vulgaire sans la moindre invention dans la mise en scène ni dans les personnages. Ses saints sont d’immondes pourceaux d’Épicure, ses héroïnes et ses héros ne songent qu’à la bagatelle, la Pucelle est :


La grosse Jeanne au visage vermeil,


une robuste fille d’écurie, active, adroite, vigoureuse, et distribuant à la ronde les brocs de vin et les soufflets. Peut-être serait-ce intéressant de comparer ici la bonhomie du poète du temps de Charles VII au malicieux persiflage de Voltaire. Voyons-les, par exemple, nous raconter tous les deux la célèbre anecdote de l’arrivée à la cour et du piège tendu à Jeanne et tout aussitôt déjoué. Martial d’Auvergne, dans ses Vigiles de Charles VII, dira :


Le roy par jeu si alla dire :
Ah, ma mye, ce ne suis pas !
A quoi elle répondit : Sire,
Ce estez-vous, je ne faulx pas.


Et, pour appuyer son discours, elle continue :


Au nom de Dieu, se disoit-elle,
Gentil roy, je vous mènerai
Couronner à Reims qui que veuille,
Et siège d’Orléans lèveray.


Nous savons que le roi la prit alors à part et qu’après un moment d’entretien tous deux changèrent de visage. Elle lui disait, comme elle l’a raconté depuis à son confesseur : « Je te dis de la part de Messire que tu es le vrai héritier de France et fils de roi. » Maintenant, voulez-vous connaître le tour que Voltaire donne à la chose :


Sus ! lui dit Charle, ô vous qui savez tant,
Fille de bien, dites-moi dans l’instant…


J’allais donner toute la citation, mais je m’arrête en pensant que le lecteur veut être ménagé et c’est grand dommage, car, cette fois, par rareté, les vers sont charmans.

Un détail curieux à noter dans cette histoire de la Pucelle, c’est en remuant ce fumier d’Ennius que Schiller trouvera l’idée de sa Jeanne d’Arc. On ose à peine y croire, et cependant rien de plus