trente-deux ans de gestation dans la plainte, la colère, les dénonciations et les convulsions, pour un si piètre résultat ! Il se démène comme un beau diable, crie aux manuscrits dérobés, à la contrefaçon, amoncelle les justifications sur les calomnies et, pendant qu’au dehors amis et ennemis se gourment pour sa plus grande gloire, il rature un chant, en ajoute un autre et lance frauduleusement dans le public des vers qu’il désavouera d’un front d’airain. Nulle part Voltaire n’est plus Voltaire que dans la Pucelle, ou, pour mieux dire, que dans ce vacarme de trente ans mené autour de la Pucelle. Il sait quel est sur le public l’attrait du fruit défendu, et dans l’art de mystifier les peuples et les rois et de faire qu’un livre se vende, nous ne l’avons pas dépassé. Aborder seulement l’analyse d’un pareil scénario, qui l’oserait aujourd’hui, eût-on même pour excuse de se dire : Legimus aliqua ne legantur ? Aucun plan, rien que des épisodes qui se ressemblent tous, une suite de tableaux selon les règles de l’épopée du temps, le matériel allégorique ayant déjà servi dans la Henriade ; temple de la Renommée où se prélassent les rois et leurs maîtresses :
- L’amour, aux yeux des peuples éblouis,
- D’un lit de fleurs fait un trône à Louis ;
palais de la Sottise où sont logés tous les ennemis du poète ; le vieux jeu mythologique avec des saints et des saintes de la légende, remplaçant les dieux et les déesses, un tissu d’allusions, d’injures, de flagorneries, de personnalités obséquieuses ou grossières, des morceaux venus au hasard, tantôt allongés et tantôt raccourcis, un recommencement sans fin, tel est le style. Je cherche en France et à l’étranger un type à ce genre de littérature et je n’en trouve aucun : ce n’est ni de la satire humoristique comme le Lutrin, ni de la fantaisie bourgeoise comme Vert-Vert, ni même tout simplement de la parodie comme l’Enéide de Scarron. Arioste, trop souvent invoqué par Voltaire et ses amis, n’a pas ce vil sarcasme dans l’obscène ; son sensualisme est plein de gaillardise, un rayon du midi le réchauffe : bien plutôt faudrait-il parler d’Arétin. Chose étrange ! la langue elle-même vous rebute. Le vers de dix syllabes, partout ailleurs si facile, si déluré, si pimpant dans les poésies légères de l’auteur, se néglige, s’avachit et perd toutes ses grâces naturelles en voulant imiter le naturel des Contes de La Fontaine. Qui sait si celui-là n’était point le seul à pouvoir se tirer d’un tel pas ? Un conte de La Fontaine, une gauloiserie, mais ne dépassant pas le fabliau, l’imagination n’entrevoit au-delà rien de possible, et Voltaire s’évertue à faire tout le contraire, plaçant son drame sur