Catherine de Bauffremont-Ruppes, allait sous un hêtre magnifique, dit l’arbre des Fées ou des Dames, non loin de la source des Groseilliers, faire des repas champêtres, des dînettes en plein air ; chacun apportait ses provisions, du vin et de petits pains, et les jeunes filles de la seigneurie, mêlées aux demoiselles de la bonne châtelaine, lui composaient une gracieuse escorte ; au retour de la belle saison, Béatrix ne laissait échapper aucune occasion de renouveler ces parties de plaisir où la jeunesse des deux sexes prenait ses ébats, chantait, dansait, cueillait des fleurs et tressait des guirlandes que l’on suspendait ensuite aux rameaux touffus du hêtre hanté par les fées.
Ce tableau enchanteur et vraiment digne d’une idylle de Théocrite, ce n’est pas à un poète que nous le devons, mais à des témoins oculaires qui ont déposé dans le procès de réhabilitation. Sans doute, il ne faut voir ici qu’un cas particulier, et l’on se tromperait étrangement si l’on s’imaginait que tous les seigneurs, que toutes les châtelaines vivaient sur ce pied de familiarité affectueuse avec leurs vassaux ; toutefois, ce que les habitans des campagnes trouvaient alors, non-seulement à Domremy et dans la châtellenie de Vaucouleurs, mais dans toute l’étendue du royaume de France, c’était une protection généralement ferme et vigilante de la justice royale contre les abus de la force, c’était notamment la sécurité pour les personnes et pour les biens résultant de l’interdiction des guerres privées, sans cesse renouvelée par des ordonnances spéciales pendant le cours des XIVe et XVe siècles. Cette interdiction n’était nulle part plus rigoureuse qu’en Champagne, où le parlement siégeant aux grands-jours de Troyes avait appliqué en mainte occasion aux seigneurs récalcitrans une répression exemplaire et impitoyable. À ce point de vue, les gouvernemens faibles tels que celui de Charles VI suivaient la même ligne de conduite que les pouvoirs forts, et l’on vit dans les plus mauvais jours l’autorité royale tenir à honneur de ne laisser impunie aucune violation de la paix publique.
Tandis que les choses se passaient ainsi sur la rive gauche de la Meuse, il en était tout autrement sur la rive droite, c’est-à-dire en Lorraine. Dans ce duché relevant de l’empire et régi par des coutumes profondément imprégnées de l’influence germanique, les guerres privées n’avaient rien perdu de la violence sauvage, de la fréquence, de l’impunité avec lesquelles elles avaient sévi à l’époque de la décadence carolingienne et continuaient en plein XVe siècle à peser du poids le plus lourd sur les populations. À cheval sur l’Allemagne et adossée à la France, la région située à l’est de la Meuse était morcelée entre une foule de petits potentats laïques et ecclésiastiques plus ou moins indépendans les uns des autres, dont