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entièrement par les Romains sous Auguste, et passées, après la chute de l’empire de l’Ouest, sous la domination de Byzance. Déjà des tribus slaves de même famille, au cours de leurs expéditions barbares, y avaient formé de véritables colonies sous la suzeraineté des Byzantins. Sur ce théâtre, admirablement approprié aux invasions, les diverses races s’avançaient en quelque sorte par chocs, se heurtant, se poussant les unes les autres, progressant par secousses successives plutôt que par une marche suivie et régulière.

Les Croates se dirigeant vers le nord et l’ouest, au bord de la mer, les Serbes se répandirent dans la vallée du fleuve de la Drina, vers le sud, et vers le fleuve de la Morava, à l’est. Ni Croates, ni Serbes ne formaient d’ailleurs un peuple uni, et ce sont surtout les conditions géographiques qui contribuèrent à constituer des groupemens ethnographiques durables. Les races qui s’établirent dans la vallée de la Bosna fondèrent, avec les habitans de la vallée de la Narenta, la Bosnie actuelle, contrée qui sépare le domaine des Serbes de celui des Croates. Par leur situation à l’ouest, les Croates étaient forcés de tomber sous l’attraction du monde romain, tandis que les Serbes devaient entrer dans la sphère de l’action byzantine. Placés entre (eux, les Bosniaques, grâce à leur position intermédiaire, étaient destinés à ressentir les deux influences et à n’en subir aucune complètement. Cette sorte de fatalité géographique ne se manifesta pas seulement dans leur existence politique, elle fut encore le facteur déterminant de leur vie religieuse. Les tribus serbo-croates, à peine fixées dans l’Illyrie occidentale, se convertirent peu à peu au christianisme. Un seul évêché avait survécu aux ruines accumulées par les invasions, ainsi que l’indique la mention Bosniensis ecclesia, qu’on retrouve dans les actes publics. Jusqu’au milieu du XIe siècle, cet évêché resta subordonné à l’église de Spalato. La partie sud-ouest de la Bosnie, qui touchait au territoire des Croates, confessait la foi chrétienne. Les Croates avaient été convertis, dès le VIIe siècle, par les missionnaires dalmates et italiens, surtout par Jean de Ravenne, tandis que les Serbes recevaient les prêtres que lui envoyait l’empereur Héraclius. A l’est et au sud de la Bosnie, le rite grec faisait aussi des progrès ; mais les deux communautés avançaient parallèlement, sans entrer en conflit. C’est principalement au VIIIe siècle que l’église grecque obtint de rapides succès, à l’époque où Léon l’Isaurien, le plus grand iconoclaste, ne mettait pas moins de zèle à organiser des missions qu’à accomplir sa réforme. Il résulte des écrits du temps que les missionnaires byzantins faisaient plus de prosélytes parmi les Serbes que les missionnaires italiens n’en faisaient parmi les Croates. Jusqu’au XIIe siècle, l’église chrétienne de Bosnie resta partagée ainsi. En 1067, l’évêché de Bosnie avait été subordonné par la curie