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nous avons parlé ci-dessus. Cette institution se maintint jusqu’à 1878, après l’occupation austro-hongroise, avec cette seule modification qu’en 1847 un second vicaire extraordinaire fut créé pour l’Herzégovine. Séparée du vicariat ainsi que de l’ordre des franciscains, la partie méridionale de l’Herzégovine formait toujours le diocèse de Trébinje, et comme l’évêque de Trébinje s’était enfui à Raguse en Dalmatie, c’est de là qu’il gouvernait et qu’il gouverne encore son diocèse sous le titre d’évêque de Trébinje-Raguse.

Ainsi, la situation respective des diverses religions était au siècle dernier assez nettement déterminée. Naturellement l’islamisme dominait dans le pays, bien que les musulmans ne formassent pas la majorité. Ces derniers étaient sincèrement et violemment attachés à leur foi. Mais quoique cet attachement rendit très étroits leurs rapports avec les Turcs, ils ne se sont néanmoins jamais confondus avec eux et les ont toujours regardés au contraire comme des ennemis politiques. Ils les ont même combattus opiniâtrement dans notre siècle. Peut-être aucune autre province de l’empire ottoman n’a été le théâtre d’autant d’insurrections que la Bosnie ; et ce n’étaient pas des gouverneurs ambitieux ou des chrétiens opprimés, c’était la population musulmane et surtout les beys qui se soulevaient. Après la dissolution des janissaires en 1826, un mouvement se produisit à Travnik, et depuis le moment où Ali-Pacha déploya l’étendard de la révolte, depuis le moment aussi où commencèrent les réformes modernes, les musulmans de Bosnie se regardant comme les vrais et les seuls Turcs, ne traitèrent plus les Turcs de Constantinople que comme des étrangers oppresseurs. Ils se sentaient l’avant-garde de l’islam menacé par la civilisation chrétienne. C’est à ce titre qu’en 1831, ils voulaient marcher sur Stamboul, conduits par le fameux Hussein-Kapetan-Beberly de Gradacar, pour détrôner le sultan giaour, le réformateur Mahmoud II. A peine soumis, les musulmans de Bosnie se soulevaient de nouveau chaque fois qu’ils apprenaient qu’une nouvelle innovation politique ou financière était introduite dans l’empire. C’est ce qu’ils firent en 1836, en 1837, en 1843 et en 1846. Presque toutes ces insurrections finissaient vite par la décapitation d’un certain nombre de beys. Enfin éclata la grande insurrection de 1849-1851. Les musulmans de Bosnie durent se soumettre, humiliés et écrasés par Omer-Pacha ; il se passa toutefois longtemps avant que le gouvernement turc pût lever parmi eux des recrues et nommer des beys officiers dans son armée. Ces désirs opiniâtres d’indépendance qui se réveillaient sans cesse parmi les musulmans de Bosnie étaient peut-être un écho héréditaire des souvenirs de l’ancienne indépendance, au temps où fleurissait la Bosnie chrétienne.