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Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 69.djvu/641

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II

Si nous nous sommes arrêtés si longtemps à l’histoire des religions en Bosnie et en Herzégovine, c’est qu’il était nécessaire de la bien connaître pour se rendre compte des difficultés devant lesquelles l’Autriche-Hongrie s’est trouvée placée en pénétrant dans les deux provinces. La question religieuse était la première et la plus grave de toutes celles qu’elle avait à résoudre. Personne n’ignore, en effet, le rôle important que jouent en Orient les différens cultes. Dans la presqu’île des Balkans, les nationalités se confondent presque avec les confessions ; on va jusqu’à se servir du même mot, millet (proprement dit le peuple) emprunté à la langue de l’Arabie turque, pour désigner lu nationalité et la confession. Les communautés religieuses forment en Turquie des corporations qui ont leur existence politique, leur administration particulière, leur organisation à part. Les prérogatives dont elles jouissent, et qui leur permettent de s’administrer d’une manière quasi indépendante, sont beaucoup plus importantes que dans n’importe quel autre pays d’Europe. Cela est vrai surtout pour les églises non mahométanes, car les églises mahométanes, représentant la religion d’état, sont presque incorporées à l’état lui-même. Chacune des églises chrétiennes est représentée dans les conseils régionaux et cantonaux, dans les conseils municipaux, et même dans les justices collégiales. Chaque confession veille avec un soin jaloux sur les droits qui lui appartiennent au sein de ces divers corps administratifs et judiciaires ; elle y voit, en effet, la garantie même de son existence. Il n’est pas jusqu’aux intérêts privés de ses membres qu’elle ne se croie tenue de protéger elle-même ; car elle ne se fierait pas à l’impartialité des représentans d’une autre confession. La séparation entre les cultes est si nettement établie que les chocs sont souvent plus violens entre eux qu’entre les nationalités différentes.

Dès le début de son occupation, l’Autriche-Hongrie avait à tenir compte de ces dissensions pour tâcher d’y mettre un terme. La population des deux provinces était fort homogène comme race. Abstraction faite des israélites et des Turcs, — et ces derniers ne faisaient guère qu’y passer pans s’y fixer à demeure, — l’Herzégovine et la Bosnie étaient habitées par un peuple parlant uniformément la langue sud-slave. Mais, au point de vue religieux, elles se partageaient en mahométans (Muslim), — en Serbes (Rum[1] ou

  1. Mot turc qui signifie grec.