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musulmans, appartenant à la religion dominante, étaient de plus, au point de vue politique, la classe privilégiée. Ils craignirent, à la première heure, que les fonctionnaires austro-hongrois ne les reléguassent au dernier plan, portant ainsi atteinte et à leur religion et à leur état social. C’est pourquoi ils mirent tout en œuvre, chaque fois que l’occasion s’en présenta, pour maintenir et affirmer leur position dominante vis-à-vis des chrétiens. On les vit, notamment à Dervend et à Kosarac, tenter de s’opposer à la construction des églises, et plus tard, à Tessanj, ils essayèrent d’empêcher les processions catholiques. De leur côté, les chrétiens des deux provinces espéraient que les nouveaux maîtres du pays n’auraient rien de plus pressé que de bouleverser toutes les relations sociales antérieures. Ils songeaient déjà à se dédommager de leur longue oppression en exerçant vis-à-vis des mahométans la suprématie que ceux-ci avaient l’habitude d’exercer vis-à-vis d’eux. C’étaient surtout les orthodoxes de l’église orientale qui rêvaient de voir leur église, comme étant celle de la majorité, devenir la première de la contrée, bien qu’à vrai dire ils n’eussent pas grand’chose à espérer d’une puissance catholique comme l’Autriche. Quant aux catholiques, il semblait naturel qu’ils conçussent de grandes espérances en Bosnie comme en Herzégovine. Quoi qu’ils fussent en minorité, ils étaient de la même religion que les nouveaux occupans et avaient, en conséquence, la ferme conviction que le rôle prépondérant leur était réservé.

Ainsi chaque confession attendait une situation à part : les mahométans par le maintien de leurs privilèges, les chrétiens par l’extension de leurs droits, tous par l’octroi de certaines faveurs au détriment des autres. Mais tel n’était pas le programme de l’Autriche-Hongrie. Favoriser une partie de la population en mécontentant le reste, donner à ces graves et délicates questions une solution contraire au bon sens et à la justice, ce ne pouvait être la tâche d’un gouvernement qui voulait, avant tout, rétablir le calme et la paix dans les provinces occupées. Il ne songeait qu’à proclamer l’égalité des cultes et à les seconder tous impartialement. « L’empereur-roi veut que tous les enfans de ce pays jouissent des mêmes droits conformément aux lois fondamentales. Il veut que la même protection leur soit accordée à tous pour leur vie, leurs propriétés et leurs croyances. » Ainsi s’exprimait la proclamation adressée aux habitans de l’Herzégovine et de la Bosnie lors de l’entrée des troupes. Et, conformant sa conduite à ces nobles idées, M. de Kallay, ministre commun des finances, chargé de l’administration des provinces, prononçait devant la délégation hongroise, le 6 novembre 1883, les paroles suivantes : « Alors même que la proclamation